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Peut-on être chrétien et faire de la finance ?

FINANCE

© THOMAS SAMSON / AFP

Pascal-André Dumont - publié le 27/09/21 - mis à jour le 09/11/22

La question des rapports de l'homme avec l’argent n’est pas simple mais les enseignements des prophètes et du Christ l'éclairent. Voix de l’Église, les papes ne cessent d’appeler aujourd’hui à l’humanisation de la sphère économique et financière, non à sa désertion.

L’argent est condamné par l’Évangile lorsqu’il devient Mammon, le rival de Dieu. “On ne peut pas servir Dieu et l’argent” (Mt 6, 24). Servir l’argent n’est pas compatible avec le service de Dieu. Ce combat entre Dieu et Mammon, le dieu de l’argent, se livrera jusqu’à la mort du Christ, livré pour trente pièces d’argent. La logique d’accumulation de l’argent conduit l’homme à sa perte. Tel l’homme riche, plus préoccupé d’amasser ses richesses que du salut de son âme, et surpris par la mort. Le piège, c’est la recherche de l’accumulation égoïste de richesses, recherche qui devient sa propre finalité. L’argent ne doit et ne peut être qu’un moyen. L’Église encourage à son usage responsable : c’est possible même si c’est difficile.

La doctrine sociale de l’Église

Cest à l’homme de construire son rapport à l’argent en posant des choix qui ont une qualification morale. L’Église éclaire et guide cette responsabilité de l’homme. La vision de l’homme contenue dans les enseignements du Christ lui permet en effet de proposer un modèle de développement “intégral”. D’où, les grands enseignements pontificaux qui, depuis l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII (1891) forment la doctrine sociale de l’Église. Une sagesse pratique de l’Église forte de 2000 ans d’expérience de l’homme. Motivés par des situations historiques concrètes, ces textes ont adopté des angles de réflexion complémentaires. Le travail des ouvriers en 1891, l’ajustement de la production à la croissance démographique en 1967, et depuis les années 2000, la juste place de la finance. Le fondement commun à ces textes est de proposer une vision de l’économie centrée sur la personne.

La réglementation ne suffit pas

Toute entreprise humaine peut se doter de codes de déontologie, dont les derniers papes appuient la généralisation pour prévenir de nouvelles tragédies financières. Mais il ne s’agira jamais là que de codes de la route, et pas de GPS. On y trouvera les moyens d’aller quelque part, mais jamais les indications sur la destination finale et l’itinéraire à suivre pour y parvenir. L’Église ne bannit pas l’argent de la vie du chrétien, mais lui rappelle la nécessité de l’ordonner à un bien commun, de subordonner la finance à une économie au service de la personne humaine.

La notion de bien commun résonne avec force dans le message de l’Église, qui est une des rares voix à oser en parler dans le monde d’aujourd’hui, dominé par l’anti-modèle de l’individualisme consumériste.

La notion de bien commun résonne avec force dans le message de l’Église, qui est une des rares voix à oser en parler dans le monde d’aujourd’hui, dominé par l’anti-modèle de l’individualisme consumériste. Tout chrétien est responsable de ce bien commun devant ses prochains et devant Dieu. D’où la notion de responsabilité, lumineusement développée par Benoît XVI : la responsabilité est une réponse à un appel, elle a sa source en dehors de soi. Alors que l’individualisme est autoréférencé, la responsabilité repose sur un appel qu’on ne peut entendre que si on se met à l’écoute d’une Parole. L’homme se situe alors dans un rapport responsable à l’argent, qui participe pleinement du plan de Dieu.

Une croissance responsable ne trouve donc sa finalité qu’en dehors d’elle-même. Une sphère financière autoréférencée ne sert plus le développement intégral d’une société au service des personnes, mais bien des intérêts individuels eux-mêmes autoréférencés. Responsabilité et finalité doivent fonder le rapport du chrétien à l’argent.

Les dérives de la financiarisation

C’est au nom de ce développement intégral, que Benoît XVI a mis la finance au cœur de son encyclique Caritas in Veritate, dans un contexte de crise financière mondialisée.Saluée comme un modèle de rigueur intellectuelle, de clarté conceptuelle voire d’innovation managériale, Caritas in Veritate prend la hauteur de vue nécessaire pour analyser les défaillances du système économique mondial. Ce que le texte fustige, c’est le mécanisme actuel qui pousse les entreprises à adopter un rythme de production effréné, à s’engager dans une course aux résultats infernale, et qui rend tout précaire, des investissements à la vie du simple salarié en passant par les carnets de commande et la localisation des entreprises. C’est la financiarisation de l’économie qui est ici condamnée, et sa logique du court terme : ce n’est pas l’argent qui est rejeté en bloc parce que “sale”.

Au premier piège d’un argent traître, dont la puissance de fascination durcit le cœur humain, s’en ajoute un second : celui d’une sphère économique gouvernée par la finance, au lieu d’être servie par elle. Le pape François ne dit pas autre chose lorsqu’il exhorte vigoureusement les chrétiens à refuser la mondialisation de l’indifférence que génère des logiques financières autoréférencées et inhumaines. Sur le fond, c’est le refus de voir l’être humain réduit à ses fonctions de consommation. C’est aussi un appel individuel à mettre en pratique la vertu de charité à quelque niveau que l’on soit ; et, pour les experts financiers, à oser repenser un système économique dans lequel l’argent sert, au lieu de gouverner. 

Le risque du développement

Mais les logiques de la finance ne sont pas intrinsèquement mauvaises. L’Église enseigne que le développement et la croissance, démographique comme économique et financière, est une bonne chose, en raison des paroles de Dieu dans la Genèse : “Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la” (Gn 1, 28). La responsabilité, ce n’est pas l’idéal des mains pures et le désengagement total de la finance, au risque de ne plus avoir de mains du tout.Une certaine morale chrétienne associerait responsabilité éthique et absence de risque — condamnant de fait même les plus simples opérations financières d’investissement et d’emprunts. Mais cette vision est faussée : elle part du principe que le risque est, en soi, mauvais.

Le Christ lui-même, dans la parabole des talents, endosse l’attitude du maître qui réprimande l’ouvrier qui n’a pas su faire fructifier son talent. Faire fructifier un talent suppose d’avoir pris le risque de miser sur une chose pour en tirer deux ou plus.

Or, ce n’est pas ainsi que Dieu l’envisage. Dieu Lui-même prend des risques. Lorsqu’Il crée l’homme par amour, il prend le risque de la liberté de l’homme et du rejet de son amour. Le risque, comme passage du connu à l’inconnu, est très présent dans les Écritures Saintes. L’appel de Dieu à Abraham n’est rien d’autre qu’une invitation à quitter son pays — le connu —  pour marcher “vers le pays que Dieu lui indiquera” (Gn 12, 1-2). C’est l’inconnu, qui suppose la confiance en Dieu. Le Christ lui-même, dans la parabole des talents, endosse l’attitude du maître qui réprimande l’ouvrier qui n’a pas su faire fructifier son talent (Mt 25, 26-30). Faire fructifier un talent, dans le domaine anthropologique comme économique, suppose d’avoir pris le risque de miser sur une chose pour en tirer deux ou plus.

Pas de risque inconsidéré

Tel l’homme qui veut bâtir une tour, ou le roi qui part en guerre, celui qui prend un risque doit d’abord s’asseoir et réfléchir aux moyens suffisants pour atteindre le but recherché (Lc 14, 28-32). Ces paraboles trouvent leur application dans la sphère de l’activité économique et financière. L’économie vise la croissance de l’existant, et non son seul maintien : le risque lui est nécessaire. Mais, mouvement de l’activité humaine, la prise de risque a son mode d’emploi, enserré dans le triangle de la confiance, de l’espérance et de la prudence.

Premièrement, la confiance : il faut une certaine sécurité, qui n’est pas la maîtrise préalable de toutes les conséquences d’une action, mais l’assurance de s’appuyer sur quelques piliers inébranlables : grâce de Dieu, compétences humaines, soutien moral et affectif, business plan cohérent… Ensuite, l’espérance : c’est l’attente d’un bien plus grand. Enfin, la prudence, jugement de l’intelligence pratique, permet de d’agir selon ce qui a été discerné comme bon dans une situation donnée, en fonction de moyens donnés. Elle n’est pas la faculté de repérer les situations sans risque, mais celle de bien peser les risques, et d’écarter ce qui est trop risqué.

La finance au service du bien commun

Ne pas fustiger la finance libère des initiatives financières chrétiennes au service du bien commun.Le mode d’emploi chrétien de la finance n’est pas uniquement normatif. Réhabiliter le risque inhérent à toute entreprise permet d’imaginer de mettre au service du bien commun une expertise dans les mécanismes financiers. Plusieurs types de fonds se sont développés suivant cette logique. Les fonds de dotation permettent de réunir de l’argent pour l’investir dans des projets.Non spécifique au monde chrétien, ces fonds ont séduit par exemple les diocèses bretons, qui en ont créé pour financer des projets au bénéfice de la jeunesse.

Ils séduisent aussi des grands patrons chrétiens, tel Pierre Deschamps, ancien président des Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC), qui est à l’origine du fonds CapitalDon, qui a pour but d’encourager la recherche académique et l’innovation au service du développement de la gratuité en entreprise. Autre type de fonds : le fond de placement éthique.Dans sa version “Communauté Saint Martin”, cela donne Proclero. Il s’agit d’un fonds de placement ouvert à tous et investi dans des entreprises selon une triple exigence. Une gestion éthique qui sélectionne les entreprises à partir de critères d’écologie humaine, d’éthique sociale et d’intégration positive. Une finalité de partage pour la formation des séminaristes de la Communauté Saint Martin ; et la promotion de la doctrine sociale de l’Église auprès des acteurs de la vie économique et financière. 

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ArgentFinancesFoiQuestions de fond
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