On aime à dire que « l’humanité » est née avec l’ensevelissement des morts. Pas l’humanité au sens de l’ensemble des êtres humains, mais au sens moral du mot : « Traiter quelqu’un avec humanité ». C’est celui de la compassion, du devoir de prendre soin de ceux qui en ont besoin. Qui, plus que le défunt, se trouve ainsi confié, remis, à l’humanité d’autrui ?
Ces précieux instants
Pendant la pandémie, des milliers de victimes sont mortes dans une solitude totale et dans des conditions indignes. Des portes de service sont devenues des portes de prison. Combien sont-ils, ceux qu’on a empêchés « d’être là », auprès de celui ou celle qu’ils aimaient, pour leur tenir la main, pour leur (re)donner des forces de vie ? Aussi vitaux soient-ils, les soins ne sont pas les seuls besoins. La présence. Les regards. Les mots échangés. Ces mystérieux et réels besoins de l’âme. Être là, aussi, pour recueillir le dernier souffle. Pour dire À Dieu. Comme ils sont précieux, ces derniers instants… Aucune administration arbitraire ne devrait jamais pouvoir les ravir. Comment des proches ne pourraient-ils pas, en responsabilité, appliquer les mêmes précautions que le personnel soignant ? Même l’adieu au visage fut volé à de nombreuses personnes, déchirées par le deuil subit de leur proche, mis en bière ou incinéré sans perdre un instant. Quelle violence.
Une loi aurait une portée symbolique et permettrait de consacrer ce droit de visite comme un droit fondamental, vraiment appliqué.
Depuis des mois, deux courageux petits soldats à l’origine d’un collectif refusent ce recul de civilisation. Grâce à eux, ce mardi 12 octobre arrive au Sénat une proposition de loi, présentée par Bruno Retailleau, tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées. En arriver là, devoir ajouter à la pile innombrable des lois, ce qui constitue pourtant le plus basique des droits ? Malheureusement, le flou réglementaire et législatif prédomine aujourd’hui, ce qui fait le lit d’interprétation et de restrictions abusives. Une loi aurait une portée symbolique et permettrait de consacrer ce droit de visite comme un droit fondamental, vraiment appliqué.
L’énergie de l’espoir
Laurent Frémont et Stéphanie Bataille portent le collectif Tenir ta main. Ils remuent ciel et terre pour alerter, témoigner, soutenir ceux qui ont traversé ces drames d’inhumanité en leur apportant une aide psychologique, juridique et matérielle. Une pétition. Des auditions. Et le recueil de milliers de témoignages poignants, auxquels Catherine Frot, Marie de Hennezel, Jacques Weber et tant d’autres prêtent leur voix, pour qu’ils ne s’enterrent pas. Parler d’énergie du désespoir ? Certainement pas. Parlons plutôt d’énergie de l’espoir, celui que personne n’ait plus jamais à vivre ça, à mourir comme ça. Espoir aussi de contribuer à améliorer le dialogue entre malades, proches et soignants. Pour le bien de tous.
Quand la menace de perdre le sens de la mort, et donc de la vie, ruine une société, se lèvent toujours des gardiens d’humanité qui viennent ainsi questionner, comme le fit Orwell : « Et si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain ? » Merci, Tenir ta main.