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Comme un goût de paradis

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Le Tintoret [Public domain]

"Le Paradis", de Tintoret.

Jean-François Thomas, sj - publié le 15/01/22

Il vaut la peine de contempler le mystère de l’Incarnation dans la Crèche, en compagnie des bergers et des rois, car elle est l’antidote contre les mirages du monde et de sa "modernité".

Encore dans le vestibule d’une nouvelle année donnée par Dieu, chaque an étant de grâces, nous aimerions tous ne contempler que des paysages lumineux et des rives apaisées. Pourtant, même en offrant d’un cœur sincère et vrai nos vœux à ceux qui nous sont chers, nous savons bien que tout ne sera pas rose et il nous arrive, aux plus mauvais moments, de chanceler même dans la foi, croyant lire sur une banderole barrant notre chemin les mots découverts par Dante sur la porte des enfers : Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate. “Vous qui entrez, laissez toute espérance” (La Divine Comédie. L’Enfer, chant III. 9. 

Et puis, nous nous ressaisissons, nous souvenant que bien des hommes auraient, bien plus que nous, raison de perdre raison et de s’enfoncer dans les ténèbres. Parmi nous, sont ceux qui sont accablés par des maux semblables à ceux qui écrasèrent Job momentanément, sauf que, dans leur cas, rien ne leur est rendu à profusion en cette vie. Ce ne sont pas ceux qui se plaignent le plus car, s’ils ont la foi, ils s’accrochent envers et contre tout à la moindre épave pour reprendre souffle et ils ne connaissent pas la tentation du blasphème ou de la révolte. Eux seuls peuvent dire s’ils entrevoient le paradis au sein de leur malheur lorsque le voile se déchire de façon fugace. Il semble que cela soit le cas, puisque leur témoignage tend à le prouver.

Personne n’a jamais su ce que les bergers appelés par les anges et les Rois mages guidés par une Étoile ont vraiment vu dans cet Enfant divin. Ils ont gardé pour eux l’expérience intérieure tout en glorifiant visiblement. Ensuite, ils repartirent vers leur vie ordinaire, vaquant à leurs travaux nobles ou serviles. Rien ne semblait avoir vraiment changé alors que leur être tout entier avait connu une véritable révolution copernicienne. Jusqu’alors prisonniers de la fatalité, ils découvrirent qu’ils étaient libérés par ce Sauveur et qu’il leur faudrait désormais gérer au mieux la puissance qui leur était retournée, celle que le premier Adam avait perdu par sa faute. Georges Bernanos, au cœur d’une guerre à nulle autre semblable, alors que son fils Yves vient de rejoindre Londres à partir du Brésil pour s’engager, trouve les mots justes pour définir cette liberté qui est celle de l’homme de foi, et non pont celle de l’homme de la chute : “La liberté n’est pas seulement un bien dont on jouit, un capital dont on touche les intérêts, mais une réalité vivante que nous entretenons de notre substance, et qui, animée d’un principe spirituel dont la source est notre âme, risque à tout instant, comme nous, avec nous, son salut ou sa damnation” (Essais et Écrits de combat, II, “C’est l’honneur qui nous fait libres”, 9 août 1941, O Jornal).

Contre l’esprit du monde

Ce qui met l’homme en danger ne sont pas d’abord les guerres atroces qu’il mène depuis des millénaires. D’ailleurs, la paix que chantent les anges au soir de la Nativité est sans relation avec les traités et les armistices. L’homme libre qui se découvre à Bethléem en présence de Dieu incarné est celui qui, bien que vivant dans le monde hostile, combat contre ce monde qui a la prétention de recréer l’homme à son image. Charles Péguy définit ce monde moderne, et il en repère la naissance en 1789. Nous portons toujours cet héritage : “Le monde moderne avilit. Il avilit la cité, il avilit l’homme. Il avilit l’amour ; il avilit la femme. Il avilit la race ; il avilit l’enfant. Il avilit la nation ; il avilit la famille. Il avilit même, il a réussi à avilir ce qu’il y a peut-être de plus difficile à avilir au Monde : il avilit la mort” (6 octobre 1907, “Situation faite… gloire temporelle”, Cahiers de la Quinzaine). Et encore : “La dissolution de l’Empire romain.., n’était rien en comparaison de la dissolution de la société présente… Il y avait sans doute beaucoup plus de crimes et encore un peu plus de vices. Mais il y avait aussi infiniment plus de ressources. Cette pourriture était pleine de germes. Ils n’avaient pas cette sorte de promesses de stérilités que nous avons aujourd’hui” (20 juin 1909, “À nos amis, à nos abonnés”, Cahiers de la Quinzaine). Le poète précise, enfonçant le clou : “Le monde moderne ne s’oppose pas seulement à l’Ancien Régime français, il s’oppose, il se contrarie à toutes les anciennes cultures ensemble, à tous les anciens régimes ensemble, à toutes les anciennes cités ensemble, à tout ce qui est culture, à tout ce qui est cité. C’est… la première fois dans l’histoire du monde que tout un monde vit et prospère, paraît prospérer contre toute culture” (17 juillet 1910, Notre Jeunesse).

Les premiers antimodernes

Les bergers et les Rois mages sont les premiers antimodernes car ils découvrent que ce que le monde honore est désormais sans valeur. Les uns et les autres sont aux deux extrémités de la position sociale : des pauvres et des riches. Il leur est révélé que le monde n’appartient pas à ceux qui peuvent l’acheter et s’y enrichir, mais à ceux qui vivent des Béatitudes. En cet instant, les bergers et les rois sont des frères dans la foi, détachés de tous les biens terrestres et de toutes les ambitions. C’est en cela qu’ils jettent un œil sur le paradis ainsi présent dans la crèche. Dieu n’est pas moderne et le monde le sait, et donc Le hait. La lutte ne peut être que mortelle.

Le monde moderne impose sa foi, une foi qui bannit toute forme de croyance remettant en question ses dogmes.

À chaque fois qu’une accalmie semble se produire, c’est alors que nous devrions être inquiets car cela est le signe que nous déposons les armes et que le vieux monde impose ses conditions. L’Église ne doit jamais baisser la garde car être courtisée par l’ennemi ne signifie pas que ce dernier est habité par de droites intentions. Plus le monde est moderne, plus Dieu se retrouve dans une position d’accusé. Le monde moderne impose sa foi, une foi qui bannit toute forme de croyance remettant en question ses dogmes : la science, la médecine, les droits, les minorités, la lutte contre la vie et le choix de la mort. Le monde moderne — et il existe depuis des siècles — voue aux gémonies tous les dieux, toutes les spiritualités pour les remplacer par une soi-disant neutralité bienveillante qui n’est que le masque de la plus grande intolérance.

Le seul rendez-vous : la Crèche

Comme l’écrivait Philippe Muray, “les dernières nouvelles de Dieu ne sont pas bonnes. J’entends le vrai Dieu, je veux dire le mien, non l’un ou l’autre des bouffons démiurgiques plus ou moins excités qui prétendent s’égaler à Lui, et même le surpasser […]” (Exorcismes spirituels IV, Moderne contre moderne, Dieu merci). Le nihilisme occidental triomphe. Peu importe. Il ne faut surtout pas prendre le train en marche, sous prétexte de ne pas rater les rendez-vous de l’Histoire. Le seul rendez-vous qui vaille est celui de la crèche, et nous avons pu constater qu’il n’y avait pas foule au portillon, et pas forcément du plus beau monde, sauf ces Rois Mages mais apparus de nulle part. Muray signe :

“S’il n’y avait pas l’Église visible, écho de Dieu fait homme dans son Fils, pour répandre en tout temps et tout lieu l’œuvre divine du salut par les sacrements et la vérité divine par son enseignement doctrinal, il n’y aurait tout simplement pas d’intérieur et d’extérieur, de sujet et d’objet, d’individuel et de collectif, de passé et de présent, d’intime et de public, d’homme et de femme, d’autre et de même. Il n’y aurait que l’indifférenciation, en faveur de laquelle les sociétés modernes conspirent de mille manières parce qu’elles veulent, contre Dieu, la mort qui vit une vie humaine” (Ibidem).

Il vaut la peine de poursuivre notre contemplation de l’Incarnation, en compagnie des pasteurs et des rois, car elle est l’antidote contre le poison moderne. Le fait qu’une majorité des hommes soit indifférente ou hostile importe peu. La vérité ne se pèse pas à l’aune de la quantité. Le goût du paradis n’est pas un arôme artificiel et, comme tous les produits sainement naturels, il est présent là où l’âne et le bœuf font frémir leurs naseaux, pas du tout impressionnés par l’or, l’encens et la myrrhe auxquels ils préfèrent de loin le foin odorant offert par la Création de Dieu.

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