Santé ! Que nous levions nos verres ou échangions des vœux, s’il y a bien quelque chose qui ne change pas de génération en génération, c’est bien l’allusion permanente à cette “bonne santé” que nous invoquons jour après jour sans lassitude ni remord. Dans un monde qui vieillit, et ce sur tous les continents, la santé n’est plus simplement une affaire personnelle, elle est devenue une valeur économique majeure. Alors que l’on feint de découvrir les scandales de maltraitance dans divers groupes de maison de retraite, et que l’émotion collective s’organise annuellement pour combattre telle ou telle maladie, il demeure une question peu posée dans notre société championne en utilisateurs de médicaments de toutes sortes : qu’est-ce que la santé ?
L’onction des fronts et des mains
Ce jour-même, comme dans de nombreuses églises sur la surface de la terre, nous mettons au premier rang de la messe dominicale quelques hommes et femmes qui portent en leurs corps le signe d’une fragilité sur laquelle nous peinons à nous arrêter. Ils sont là, tous les neuf, de 15 à 98 ans, debout, face à l’autel, au milieu de la communauté. De toutes générations et cultures, les uns souffrant d’une maladie du corps, d’autres de l’esprit, avec en commun avec tous de souffrir aussi de l’âme. Ils viennent chercher le réconfort, une parole, un geste, un signe qu’ils ne sont pas seuls face à l’épreuve d’un à-venir qui serait une torture s’il n’y avait le présent pour y faire malgré tout briller une lumière.
L’Assemblée, autour d’eux, mesure que l’heure est grave, solennelle même : chacun est ainsi renvoyé à son mystère qui ne tient pas simplement à ce “Comment je vais ?” mais qui s’ouvre plutôt sur un “Où je vais ?” bien plus vertigineux encore. Et chacun sait aussi qu’à cette question, il n’est pas question de répondre seul si l’on veut avoir une chance de défricher un chemin de réponse. C’est ensemble que le futur s’appréhende dès lors que le présent peut nous rassembler. Sinon c’est la solitude et ses cortèges de démons, les uns qui se veulent faussement rassurant, les autres pour attiser l’angoisse…
L’imposition des mains, portée par la prière silencieuse d’une humanité qui cherche et qui tâtonne, mais tâche de reconnaître dans l’Évangile proclamé une parole qui donne sens et vie. L’onction des fronts et des mains pour y déposer ce désir de la communion que Dieu a, avec notre intelligence et notre corps, pour faire un avec nous et rétablir ainsi cette ressemblance qui nous distingue sans plus jamais nous séparer. Nulle autre parole que celles, récitées, du rituel, qui ne fait que bredouiller ce qui ne s’exprime qu’au-delà des mots. La messe est dite.
Le Christ est l’Acrobate absolu qui nous rejoint sur le fil de nos vies, là où l’équilibre se perd, pour nous y conduire.
Aucun paralytique ne se lève, aucun aveugle ne hurle sa joie de voir, aucun lépreux n’est purifié. En apparence. La joie de tous s’exprime cependant dans le chant du Magnificat et la bonne humeur chaleureuse d’un au-revoir qui n’est plus un adieu. Le malade guérit le bien-portant de l’ignorance de sa maladie. Tout comme le pauvre sauve le riche en lui ouvrant les yeux sur sa pauvreté.
Le Christ est l’Acrobate absolu qui nous rejoint sur le fil de nos vies, là où l’équilibre se perd, pour nous y conduire. Il ne vient pas en épaissir le cordage, ou nous gréer fermement en nous immobilisant. Non, il nous rejoint sur ce fil, fin et fragile, et nous montre comment y avancer, nous y relevant avant que nous ne tombions définitivement, Nous apprenant ainsi à mieux mettre un pied devant l’autre sans que les tremblements nous empêchent, que la peur nous paralyse. Peut-être qu’en entrechoquant nos verres, nous pourrions, parfois, nous souvenir qu’en d’autres langues que la nôtre, on dit Salud et découvrir ainsi que l’étymologie peut aussi nous ouvrir un chemin d’Espérance.