Arletty a écouté ses prêches à Paris, pendant la Seconde Guerre mondiale. Jacques Brel et Johnny Hallyday ont chanté dans les années 1960 à la “Cité de la jeunesse” qu’il a fondée à Sanary-sur-Mer. Et une foule entière a pleuré en 1982, à Marseille, au moment de sa mort. Georges Galli a eu un parcours de vie incroyable. Non seulement à cause du hasard des événements, mais aussi grâce à sa volonté seule et à sa vocation. Disons plutôt à cause d’un désir très profond et d’un besoin d’être vu du monde avec les yeux de l’âme. Né, sans doute, pour briller aux yeux du monde justement — car il est beau, intelligent et volontaire — Jean Duvivier et Marcel Vandal lui proposent de devenir acteur alors qu’il traîne aux studios du Film d’Art à Neuilly en tant que simple figurant. Il a vingt ans alors, le monde merveilleux du cinéma lui ouvre les bras.
Après les studios de Neuilly, Le bouif errant (1926), film muet de René Hervil. Puis L’Homme à l’Hispano la même année dans le rôle principal, où il incarne un homme ruiné autrefois richissime, sous la direction de Jean Duvivier, qui s’enfuit de France à bord d’une voiture de luxe espagnole Hispano. Grâce à ce film, il accède déjà à la notoriété à vingt-cinq ans seulement. Tout le monde le veut. Georges Galli enchaîne ainsi rapidement avec des productions britanniques, dans le drame Yellow Stockings (1928) de Theodore Komisarjevsky et le film romantique The Broken Melody (1929) de Bernard Vorhaus, dans lequel il joue le personnage vedette d’un prince exilé à Paris qui a une liaison avec une chanteuse d’Opéra. Les rôles se succèdent donc et la vie faste avec. Jusqu’au jour où il assiste à la messe du 15 août, la même année que ces deux derniers tournages. En ce jour de l’Assomption, il reçoit un puissant appel. Et à Noël, il écrit ces quelques mots, nullement hésitants : “Je pars pour une autre vie. Je vous écrirai plus tard. Oubliez-moi, je tâcherai d’être un autre.” Message troublant et mystérieux, qu’il n’aurait sans doute pu expliquer à ceux qui croyaient en lui pour gravir plus avant les marches de la célébrité.
Cet appel à la vocation du sacerdoce semble lui être tombée dessus comme la foudre. Puisqu’en 1930, le voilà au noviciat de la congrégation des Rédemptoristes en Belgique (en France les congrégations ayant été chassées pour la plupart en 1903), à peine quelques mois après la messe de l’Assomption. Deux ans après, il poursuit des études de théologie et de philosophie aux Pays-Bas. Et prononce enfin sa profession perpétuelle en 1934 et se prépare à devenir prêtre. Mais quelques années après, en 1937, il doute d’être fait pour la vie communautaire et s’en ouvre au supérieur de la congrégation, qui lui répond sans appel :
Si vos supérieurs disent que vous n’êtes pas appelé au sacerdoce dans notre congrégation, il vaut bien mieux pour vous de la quitter. Y rester serait, à mon avis, commettre un suicide spirituel.
Il peut ainsi être levé de ses vœux et courir vers son autre destin, sans oublier d’où il vient. Il déclara en effet : “J’étais jeune, beau, fêté, aimé. Je gagnais de l’argent, beaucoup d’argent. Ce que je suis devenu, c’est à l’Église que je le dois, à l’Église seule. Après mon entrée dans les ordres, j’ai traîné mon passé comme un boulet. Je suis devenu — je le suis certainement encore — ‘un curé de cinéma’.”
Recueilli par l’évêque de Fréjus-Toulon, diocèse déjà féru des personnalités atypiques, Georges Galli est ordonné prêtre en 1938 à Saint-Maximin. Après quelques missions dans des paroisses locales, il est envoyé à Paris en 1944 en tant que visiteur des évacués de guerre. N’ayant jamais renié sa carrière dans le cinéma, ni son amitié avec les célébrités, il rendait régulièrement visite à Arletty lors de ces passages à Paris, pour lui “apporter, dans la solitude d’une éternelle nuit, le chaleureux réconfort de son amitié”, comme le rapporte Yves Stalloni dans son ouvrage De l’écran à l’autel, la double carrière du bon abbé Galli (Publi Livre éditions, janvier 2022). Ensuite, il devient, par un concours de circonstances, le curé de Sanary-sur-Mer avec la charge de chanoine en 1950.
Il y a trente ans, Georges Galli était le rival de Rodolfo Valentino ; aujourd’hui, il est un prêtre qui ramène les jeunes à la foi.
Passionné et plein d’énergie, il vaque entre ses services aux paroissiens et la charge de son sacerdoce. Prêtre dévoué, il assiste les malades, écoute, prodigue ses conseils, soutient les plus humbles et a le souci de distribuer la joie et l’amour autour de lui. Le début de l’ouverture du Concile Vatican II n’est pas loin et déjà un nouveau souffle se fait sentir sur l’Église. L’abbé Galli, toujours mondain, a gardé son enthousiasme pour les arts. En 1955, il se lance dans la construction de la première “Cité de la jeunesse”, où de nombreux événements sont organisés, afin de dépoussiérer l’Église. Cela le rend encore plus célèbre et ne manque pas d’attirer la presse. Un média italien de l’époque, Gente, titre même un article enthousiaste qui lui est dédié : “Il y a trente ans, Georges Galli était le rival de Rodolfo Valentino ; aujourd’hui, il est un prêtre qui ramène les jeunes à la foi”. Il y organise un premier concert avec le chanteur populaire Gilbert Bécaud, croisé plus tôt sur le tournage d’un film dirigé par Marcel Carné.
Emballé par sa prestation à la Cité de la jeunesse et par la symbolique du lieu, le chanteur décide de faire don de son cachet au profit de sa mission. Tous les autres suivront, de Georges Brassens à Enrico Macias, animés par la belle publicité de cet acte de noblesse pour leur notoriété. Il fait don de la “Cité de la jeunesse” à la ville en 1977, avant son départ à la retraite et reste, avant tout et pour tous, “l’homme de cœur, entièrement dévoué à ses paroissiens et à tous ceux qui ont fait appel à lui”. (Phrase prononcée lors des 25 ans de son sacerdoce). Ainsi, quand le curé tant aimé de Sanary décède en 1982, les larmes coulent en même temps que la gratitude de l’avoir rencontré.