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“Tu n’as rien compris” : le poignant témoignage d’une mère après le suicide de son enfant

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Marie Lucas - publié le 09/09/22

Marie a traversé l'indicible. Pourtant aujourd'hui elle est une maman debout, vivante et joyeuse, dont la force, mêlée de fragilité, force l'admiration. Elle livre à Aleteia un témoignage poignant suite au suicide de son deuxième fils, Adrien, décédé à l'âge de 25 ans.

“Tu sais Maman, après l’hiver, c’est toujours le printemps, la vie ne s’arrête jamais”, lui lance un jour son petit bonhomme de 3 ans. Très vite, elle comprend, dans son cœur de mère, que son fils est “différent”. Surdoué, lui apprend une psychologue sans ménagement. S’ensuit un parcours du combattant pour accompagner ce garçon extra-ordinaire, passionné, exigeant, effacé, idéaliste, musicien, qui avance dans la vie comme un funambule… Brillant, Adrien porte en lui de grandes espérances et de grandes vulnérabilités. Finalement, malgré toute la tendresse de ses parents et de son entourage, il choisira de s’envoler définitivement un 24 juillet 2018.

Maman au cœur broyé, maman aimante, maman souvent perdue, Marie nous rappelle combien la vie d’Adrien fut un grand bonheur et aussi un grand mystère. Grâce à Dieu – “cela me réconfortait de trouver dans la Bible des échos à ma souffrance”, écrit Marie de Jauréguiberry – et à la sainte Vierge, la Mère des douleurs, cette maman veut porter un message de Vie. Avec une humilité rare, elle livre ici un témoignage puissant, d’une vérité désarmante. Marie porte en elle le désir d’apporter une lumière sur le chemin des autres “pour que les personnes soient éclairées par les écueils dans lesquels nous sommes tombés.” Du Bugey où elle vit avec son mari Arnaud et deux de leurs filles – l’aînée est mariée – elle a accepté de répondre à nos questions. 

Aleteia : Votre fils s’est suicidé à l’âge de 25 ans, vous dites qu’il vous fallait écrire pour essayer de comprendre, c’est-à-dire ? 
Marie de Jauréguiberry : Je voulais comprendre pourquoi mon enfant avait décidé de mourir. C’est impossible, pour une mère, de penser le suicide son fils. Pour sortir du traumatisme, j’avais besoin de m’approcher de l’histoire d’Adrien pour y trouver une certaine logique – notre esprit en a besoin. Et puis, je crois à la force du témoignage, notamment concernant le harcèlement. Alors j’ai mené mon enquête… Adrien m’a aidée, et petit à petit des liens sont apparus entre les pièces du puzzle, et un paysage qui m’était inconnu est apparu.

Le harcèlement terrasse, il détruit durablement l’estime de soi et ceux qui les subissent gardent des angoisses et des traumatismes toute leur vie.

Vous évoquez l’enfance d’Adrien, et notamment sa “différence”, faites-vous un lien de cause à effet ? 
C’est difficile à dire. La “différence” du Haut Potentiel Intellectuel (HPI) s’exprime dans la manière de regarder le monde, avec une hyper-sensibilité et une hyper-conscience des questions existentielles. Ils voient ce que les autres ne voient pas, ils sont en décalage et ont du mal à rejoindre leurs semblables. Participer à une conversation anodine n’est pas possible pour eux, car ils cherchent du sens en tout et dans tout – Olivier Revol, l’un des psychiatres qui a accompagné Adrien, les appelle des “sentinelles”. Parfois ils traversent des angoisses terribles. Ils s’ennuient avec les autres, ils se sentent incompris et ils s’isolent. Mais ils en souffrent terriblement car ils ont soif de rencontres et envie d’être reconnus dans leur originalité. C’est là que le harcèlement parfois s’invite… Et Adrien, qui ne savait pas se défendre, l’a vécu durant trois ans. 

Ce harcèlement que votre fils, ainsi que certains de ses camarades, a subi fait froid dans le dos… Est-ce la cause du suicide de votre fils ? 
Je ne peux pas le dire. Le harcèlement terrasse, il détruit durablement l’estime de soi et ceux qui les subissent gardent des angoisses et des traumatismes toute leur vie. Parfois jusqu’au pire. C’est pour ça que j’ai écrit ce livre, pour descendre dans les profondeurs de l’être et de la souffrance d’une personne HPI et du harcèlement. Heureusement, il y a aussi de belles rencontres, de belles amitiés – il y en a eu pour Adrien – mais elles sont rares… J’ajoute que les adultes ont un rôle très important dans la prévention du harcèlement, notamment dans les établissements scolaires (avec l’association “Marion la Main tendue” ou la méthode de la préoccupation partagée par exemple). À la maison, c’est plus compliqué, car l’enfant ne parle pas et les parents ne voient rien, même s’il y a souvent des petits signaux d’alarme. 

Vous dites que la culpabilité est une “voie sans issue”, alors comment faites-vous pour vous en défaire ? 
C’est le sentiment le plus violent qui assaille les parents d’enfants qui se suicident. J’ai fini par en comprendre le fonctionnement et surtout j’ai perçu que cette culpabilité est, au sens littéral, un mal – qu’on se fait à soi-même – à combattre. Aussi, j’ai plusieurs armes. D’abord, je me place dans le cœur de Dieu, et ainsi je me décentre. Je me suis également fabriquée une image mentale de pellicule et de ciseaux pour couper le film que je me repasse en boucle… Et puis, il m’arrive de crier vers le ciel, et alors je m’apaise.

L’enfant devenu adulte reste l’enfant de ses parents, il a son histoire et le soignant doit en tenir compte.

Quand votre fils a traversé sa première crise d’angoisse avec hospitalisation, vous avez été exclu par le psychiatre de l’alliance thérapeutique, c’est bien ça ? 
Oui. Adrien a rencontré un psychiatre qui m’a profondément remise en cause dans ma capacité à être mère. Je n’ai pas eu le droit d’échanger un seul mot avec lui, ce fut très violent. Comme j’étais débordée émotionnellement, je n’ai pas osé l’affronter – par manque d’expérience aussi. Mais l’enfant devenu adulte reste l’enfant de ses parents, il a son histoire et le soignant doit en tenir compte. Sinon, c’est grave. Un parent ne peut pas et ne doit pas confier son enfant à une personne qui écarte la famille du soin. Cela dit, les choses bougent, heureusement ! Il faut aussi savoir qu’il existe d’autres structures d’accompagnement, comme par exemple les accueils de jour avec une équipe pluridisciplinaire de prise en charge.

Accompagner la souffrance psychique de son enfant est une épreuve lourde devant laquelle les parents sont si démunis… que voudriez-vous leur dire aujourd’hui ?
Il ne faut pas rester seul et se rapprocher d’associations – par exemple Phare Enfant Parent qui accompagne les parents et enfants en mal-être. S’isoler, c’est se priver d’aide extérieure. J’ai ainsi discuté avec des pairs aidants à l’Unafam, et aussi avec une jeune fille longtemps en souffrance psychologique, grâce à elle j’ai mieux compris la mécanique des angoisses et idées suicidaires. Enfin, j’aimerais leur dire que la vie ne s’arrête pas avec le suicide de leur enfant. Quand on a perdu ce qui était le centre de sa vie, on peut s’éveiller aux autres, et l’on s’aperçoit que c’est une source de richesses et que tout nous invite à la vie !

Il est essentiel que les mamans gardent confiance en elles et dans tout ce qu’elles peuvent apporter à leur enfant.

Vous avez des mots très beaux sur la mère : “réceptacle, corbeille où déposer ses angoisses, main tendue”, comment peut-elle aider son enfant ? 
Il est essentiel que les mamans gardent confiance en elles et dans tout ce qu’elles peuvent apporter à leur enfant. Personnellement, j’ai douté, notamment à cause d’un psychiatre. Alors que ce lien d’amour indéfectible, l’enfant doit absolument le ressentir. Nous sommes son pilier qui lui permet de tenir et de garder confiance en lui, en la vie, et de regarder plus loin, au-delà de ses souffrances. Ce lien de confiance l’aide à se projeter en avant.

Votre foi a eu un rôle important dans votre descente aux abîmes, pouvez-vous nous en parler ? 
J’ai toujours eu un lien très fort avec le ciel. Jeune, j’ai connu la douleur de perdre ma sœur, et j’ai été consolée par la puissance de paix, d’amour, de joie du Christ. Quand mon mari m’a annoncé la mort d’Adrien, j’ai tout de suite été comme “emportée” au ciel avec Adrien. Ensuite, ce fut terrible. Je me suis sentie coupée en deux, entre terre et ciel, pendant au moins un an… Heureusement, j’ai été accompagnée par un psychologue chrétien – que j’ai cherché avec confiance, et trouvé ! Aujourd’hui, le Christ me guide, sa Parole parle à mon cœur et grâce au groupe de musique Glorious, je suis baignée dans la louange et la lumière. 

Quel dernier message voudriez-vous porter à nos lecteurs ? 
Au moment où Adrien est mort, Natacha St-Pier a sorti son cd “Aimer c’est tout donner”. Je me souviens de ce 23 août où je suis allée dans le jardin et me suis sentie à nouveau capable d’écouter de la musique – c’était un chant qui reprend les paroles de sainte Thérèse “tu jetteras des fleurs”. J’ai alors  ressenti une paix immense, avec la certitude que mon enfant était dans la Paix. C’est pourquoi je termine ainsi mon livre : “Mon Adrien, nous voudrions te demander de jeter des fleurs sur la terre dans le cœur de tous ces enfants qui cherchent encore la lumière”. 

Pratique

Après l’hiver vient toujours le printemps, Marie De Jauréguiberry, Mame, septembre 2022, 16,90 euros.

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deuilSuicide
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