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Qu’on l’appelle euthanasie ou assistance au suicide, qu’elle soit active ou passive, c’est à partir des années 2000 que des lois sont prises dans différents pays pour légaliser ces pratiques. Les Pays-Bas ouvrent le bal en 2001 en autorisant l’assistance au suicide, puis suit la Belgique en 2002 en permettant l’euthanasie. Si la législation mondiale opère une distinction entre “euthanasie” et “assistance au suicide”, dans les faits la différence entre les deux est ténue et semble surtout une coquetterie sémantique pour ne pas désigner la chose par son nom.
Ces deux pays sont longtemps restés les seuls membres de la planète euthanasie, avant une accélération des évolutions législatives à partir des années 2010 : en 2009, légalisation pour 10 États aux États-Unis (même si l’Oregon avait été pionnier en l’appliquant dès 1997) ainsi qu’au Luxembourg. Puis la liste s’allonge : Suisse (2012), Québec et Colombie (2015), Canada (2016), Australie, Nouvelle-Zélande et Italie (2019), Autriche et Espagne (2021), Portugal (2022). Comme pour les États-Unis, la législation en Australie et en Suisse dépend des États et des cantons, certains l’acceptant, d’autres non. La structure fédérale de ces pays explique ces différences internes.
Un problème d’Occidentaux
Pour tous les pays, des conditions sont prévues pour encadrer cette pratique : maladie incurable, demande écrite et/ou orale du patient, interdiction pour les mineurs (sauf en Belgique), avis et consultation du corps médical, etc. Dans certains pays, l’euthanasie est limitée aux nationaux quand dans d’autres elle peut être réalisée sur des étrangers. En 2019, près de 6.300 personnes ont été euthanasiées aux Pays-Bas, représentant 4,2% des décès. En Belgique, ce sont 22.081 personnes qui ont été euthanasiées entre 2002 et 2019, soit en moyenne 1 200 par an. En Suisse, le nombre de “suicides assistés” a triplé entre 2010 et 2018, pour atteindre 1.176 personnes cette année-là, soit 1,8% des décès. Au Canada, 7.595 aides médicales à mourir ont été déclarées en 2020, soit 2.5% des décès du pays. Entre 2016 et 2020, 21.589 décès sont imputables à cette pratique (source : CCNE, Avis 139, 30/6/2022).
Les débats sur l’euthanasie sont corrélés au baby-boom des années 1940-1960 et aux progrès de la médecine en Occident dans la seconde partie du XXe siècle.
La géographie de l’euthanasie témoigne d’un sujet typiquement occidental : hormis la Colombie, tous les pays concernés par cette pratique sont des pays occidentaux. On remarque l’absence de poids du Japon et de la Corée du Sud, qui n’autorisent pas ces pratiques, alors même qu’ils ont eux aussi une population âgée importante. Pas d’euthanasie non plus dans les pays où l’espérance de vie est faible et les moyens médicaux et sanitaires médiocres. En Afrique, en Amérique latine, le problème est plutôt celui de la mortalité infantile. Une telle législation n’existe pas non plus en Chine et en Inde, mais pourrait tout à fait se poser dans les années qui viennent du fait du vieillissement de la population.
Ligne de fracture
Les débats sur l’euthanasie sont corrélés au baby-boom des années 1940-1960 et aux progrès de la médecine en Occident dans la seconde partie du XXesiècle. En ce sens, l’euthanasie est un problème de “riches”, permise par ce fait nouveau qui modifie notre civilisation : la vie est devenue abondante et la mort rare. Compte-tenu des conditions sanitaires et sociales en Europe jusqu’aux années 1950, elle ne pouvait pas se poser. Mais centrée sur l’Occident et refusée par les pays non occidentaux, elle témoigne aussi d’une ligne de fracture mondiale quant aux valeurs et à la dignité de l’homme. Défenseurs comme opposants en appellent chacun à la dignité humaine.
Pour ses promoteurs, c’est défendre la dignité de l’homme que de lui permettre de choisir le moment de sa mort quand les opposants y voient au contraire une négation de cette dignité. Difficile de réconcilier des points de vue dont l’opposition repose sur une différence d’appréciation anthropologique. Mais s’il s’agit bien ici de “valeurs”, cette division crée une fracture entre les Occidentaux et les autres quant à la définition de ces “valeurs”. Cette géographie montre également qu’il n’y a pas de différences majeures entre pays protestants et catholiques. Comme pour l’avortement, on peut aussi y lire un effacement de l’Église et sa difficulté de plus en plus grande d’influer sur les modes de vie.
Une question d’argent
Un non-dit hante les débats sur le suicide assisté et la mort active, celui du coût de la vieillesse pour les caisses de retraite et les systèmes de santé. Dans les pays de retraite par répartition, ce sont les actifs qui payent les pensions des retraités. Développer l’euthanasie permet de diminuer le nombre de bénéficiaires et donc de soulager le coût des dépenses pour les caisses de retraite. Il en va de même pour les différents systèmes de sécurité sociale qui reposent eux aussi sur la répartition. Ces arguments ne sont jamais publiquement évoqués, probablement pour ne pas paraître trop mercantiles.
Dans les débats sur l’euthanasie on ne parle jamais d’argent ; il est pourtant l’un des enjeux non avoués du sujet.
L’argumentaire est axé sur la compassion, la dignité, le libre-choix, mais jamais sur le sujet économique, qui sous-tend pourtant ce débat. Si les pays d’Occident adoptent l’euthanasie, c’est aussi qu’ils disposent de caisses de retraite et de système de sécurité sociale, dont l’ampleur des déficits et l’augmentation constante des coûts les contraignent à trouver des solutions pour les pérenniser. Dans les débats sur l’euthanasie on ne parle jamais d’argent ; il est pourtant l’un des enjeux non avoués du sujet.
En Europe même, les législations sont très différentes, ce qui n’empêche ni abus ni déviance. En voulant s’engager dans cette voie, les parlementaires français suivent certes une mode occidentale, mais non un mouvement planétaire. Au moment où la mondialisation est de moins en moins monopolistique et où émergent de nouveaux pôles puissants, l’euthanasie crée une nouvelle ligne de fracture entre l’Occident et le monde.