En nommant le préfet du tout nouveau dicastère romain à la Culture et l’Éducation, qu’il a créé en promulguant en juin dernier la nouvelle constitution de l’Église, le pape François envoie un message clair, pas subliminal du tout, aux chrétiens qui s’intéressent au sens et aux moyens à donner à leur mission dans le monde actuel. La personnalité choisie est déjà un message : auparavant “patron” de la prestigieuse Bibliothèque apostolique vaticane — la plus ancienne dans le monde — José Tolentino de Mendonça a beau être un “jeune” cardinal — créé en 2019 et âgé seulement de 57 ans — il “pèse” déjà au Vatican, nonobstant sa grande discrétion. Outre sa présence dans trois congrégations romaines importantes (Évangélisation des peuples, Saints et Évêques), sa prédication de carême pour la Curie, en 2018, a aussi marqué les esprits. Cet homme de confiance du pape, de nationalité portugaise, est un intellectuel, un philosophe et un poète dont l’œuvre est appréciée et renommée dans son pays comme dans l’aire culturelle lusophone.
La beauté du monde
“Les écrivains sont parfois d’importants maîtres spirituels” considère ce cardinal, auteur d’un des plus beaux livres parus récemment sur l’amitié, sous le titre français de Petit traité de l’amitié (Salvator, 2014). Quand on lit — soyons plus précis ! — quand on savoure cet ouvrage, on est séduit par la belle fluidité de sa pensée ; on est transporté par son regard transdisciplinaire, transversal ; mais on est surtout frappé par l’étendue et la profondeur de sa curiosité pour le monde contemporain. Une curiosité qu’illustre l’extraordinaire diversité de ses références et affinités littéraires : Etty Hillesum, Fernando Pessoa, Blaise Pascal, Françoise Dolto, ou encore Pier Paolo Pasolini…
Regardez la beauté et la poésie qui ruissellent dans le monde et qui fleurissent dans le cœur de l’homme.
Qu’est-ce qui motive ce cardinal-écrivain étonnant ? Qu’est-ce qui façonne son style si original et captivant ? La devise épiscopale qu’il s’est choisi à partir de l’Évangile nous apporte une réponse : “Observez comment poussent les lys des champs” (Mt 6, 26). Autrement dit, regardez la beauté et la poésie qui ruissellent dans le monde et qui fleurissent dans le cœur de l’homme. Ne regardez pas seulement, pour vous y attarder parfois avec une complaisance douteuse, la laideur qui dévisage le monde et la noirceur qui sort du cœur de l’homme. Certes c’est la grisaille, parfois même les ténèbres qui règnent sur terre. Mais comme disait Xavier Grall, un barde breton émule de Rimbaud, toujours “on marche au soleil”.
Un message incarné
Point d’irénisme béat ou naïf dans la démarche de Mendonça ! Pas plus qu’il n’y en avait chez Paul VI quand il lisait naguère des auteurs parfois sulfureux comme, par exemple, Françoise Sagan. Au contraire, le cardinal portugais fait la brillante démonstration d’une intelligence chrétienne qui sait ne pas confondre la nécessaire distance critique à avoir sur certains aspects de la culture moderne avec l’auto-interdiction ou l’incapacité d’admirer ce qu’il y a de bon, de beau, de grand dans la vie artistique et culturelle de ses contemporains. Cette clairvoyance, qui parcourt toute l’œuvre de Mendonça, est le préalable pour que l’immersion du chrétien dans le flot tumultueux et difficile de la vie moderne soit fiable et fructueuse.
“La tradition chrétienne nous a donné un ensemble d’ingrédients clés, mais ils ont besoin de se confronter au dialogue avec le monde contemporain, plein de contradictions mais aussi riche d’incroyables possibilités”, déclarait José Tolentino de Mendonça à l’hebdomadaire Le Pèlerin en 2014. La promotion assez fulgurante de ce cardinal par le pape François n’est donc pas simplement anecdotique ou ne visant que le sérail romain. C’est un message incarné appelant les chrétiens à ne pas se tromper d’époque, et à ne pas craindre non plus de vivre à l’heure de la rencontre et de la conversation avec leurs voisins. Car la mission n’a pas pour but d’être seulement envoyée dans la société pour y être reconnue, entendue et suivie. La mission a pour but aussi de retourner au port avec dans sa cale ou son sac-à-dos tous les signes indiquant que Dieu est toujours à l’œuvre dans le vaste monde.