“Ce fut une journée splendide lorsque, le 11 octobre 1962, avec l’entrée solennelle de plus de deux mille Pères conciliaires dans la basilique Saint-Pierre à Rome, s’ouvrit le Concile Vatican II.” Joseph Ratzinger, alors simple expert pour le cardinal Josef Frings, a vécu ainsi les premières heures de ce qui fut le plus important événement de l’Église catholique au XXe siècle. “Nous étions sûrs qu’un nouveau printemps de l’Église allait arriver”, rappelait encore Benoît XVI le 11 octobre 2012 à l’occasion des 50 ans du Concile. Mais l’enthousiasme conciliaire, concédait-il, a été remplacé un demi-siècle plus tard par une “joie sans doute plus sobre”, une “joie humble”. Le pape attribuait ce changement aux “tempêtes” qu’a traversées l’Église depuis.
Le Concile, avait aussi expliqué le 265e pontife lors de la messe commémorant son ouverture, “s’est préoccupé de faire en sorte que la même foi continue à être vécue dans l’aujourd’hui, continue à être une foi vivante dans un monde en mutation”. Pour marquer l’anniversaire, le pape allemand avait alors décidé de proclamer une “Année de la foi”, qu’il avait décrite comme “un pèlerinage dans les déserts du monde contemporain”, tirant du Concile la nécessité de penser une “nouvelle évangélisation” pour le monde qui trouve pour fondation une foi authentique. L’image de la marche, employée par Benoît XVI, peut servir de trait d’union avec les commémorations des 50 ans de la clôture du Concile, célébrées par son successeur le pape François le 8 décembre 2015. Le pontife argentin avait enjoint ce jour-là dans son homélie les catholiques à reprendre le “parcours” du Concile, leur demandant d’aller à la “rencontre de tout homme” de la même façon que le Concile avait été une “rencontre entre l’Église et les hommes”.
Comme Benoît XVI pour l’année de la Foi, le pape François avait choisi l’anniversaire pour ouvrir une année de célébration, en l’occurrence le Jubilé de la Miséricorde. Le pontife argentin avait expliqué ce choix : pour permettre une “poussée missionnaire”, il s’agit de faire vivre “l’esprit qui a jailli de Vatican II, celui du Samaritain” — en référence à l’homme qui, dans la parabole du Christ, s’arrête en chemin pour prendre soin d’un homme blessé au bord de la route. La miséricorde est, pour le Pape, la dimension qui a permis au Concile Vatican II de surmonter les “obstacles qui pendant de nombreuses années l’avaient refermée sur elle-même”.
François a récemment expliqué qu’il faudra “un siècle” à l’Église pour que Vatican II “prenne racine”.
François a récemment expliqué qu’il faudra “un siècle” à l’Église pour que Vatican II “prenne racine”. En 2015, il avait d’ailleurs affirmé que l’Église était “à mi-chemin”. L’anniversaire des 60 ans de l’ouverture du Concile devrait donc lui permettre de poursuivre cette lente intégration du Concile, avec probablement un accent mis sur la dimension “synodale” de l’Église. Le synode, institution épiscopale née du Concile Vatican II mais inspirée des premiers temps de l’Église, signifie étymologiquement “marcher ensemble”. Si ce mot n’avait pas été prononcé dans l’homélie du 8 décembre 2015 par François, il avait en revanche été le cœur d’un des discours les plus importants de son pontificat, celui prononcé quelques semaines plus tôt, le 17 octobre 2015, à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire de l’institution du synode des évêques.
Reprenant le vœu émis par Paul VI de voir le synode “retrouver une nouvelle vigueur”, François avait fait de la synodalité non plus l’expression de la seule collégialité épiscopale mais d’une décentralisation de cette “marche commune” en y plaçant au centre le Peuple de Dieu, soit tous les baptisés. Si le terme est difficile à définir, la synodalité devait se découvrir comme “modus vivendi” pour l’Église catholique dans son intégralité. C’est dans cette perspective que le pape a lancé en 2021 un grand “synode sur la synodalité” pour enjoindre tous les catholiques à participer à cette découverte. Alors que le chemin synodal dans les diocèses du monde entier vient de se terminer et que débute une phase inédite au niveau continental, le pape devrait avoir à cœur, à l’occasion de ce 60e anniversaire, de faire revivre cette dimension du concile à l’ensemble des catholiques.
Contre le “restaurationnisme”
Sur ce chemin, le pape sait qu’il ne compte pas que des alliés : “Le concile dont certains pasteurs se souviennent le mieux est le concile de Trente”, déplorait le pape François en juin dernier devant des jésuites. Il condamnait l’existence d’un “restaurationnisme” au sein de l’Église qui vise à “bâillonner le Concile”. Récemment le domaine dans lequel il a exprimé le plus ses craintes est celui de la liturgie. Exhortant à ce qu’elle ne devienne pas un champ de bataille, il n’a cessé de critiquer avec force tous ceux qui utilisent la tradition liturgique pour combattre le Concile. La défense de l’héritage conciliaire était d’ailleurs un des arguments centraux justifiant la proclamation le 16 juillet 2021 de son motu proprio Traditions custodes, qui revenait sur la libéralisation de la messe préconciliaire autorisée par son prédécesseur.