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Affaire Santier : ils savaient et ils n’ont rien dit ?

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Guillaume POLI/CIRIC

Damien Le Guay - publié le 24/10/22

Pour le philosophe Damien Le Guay, auteur d’une étude sur "Les affaires sexuelles dans l’Église, une mauvaise affaire de gnose " (revue “Prêtres diocésains”, 2019), le secret ne sert personne. Les évêques doivent avoir le courage de la parole qui ouvre le cœur des victimes non encore déclarées.

Toute l’affaire relative à Mgr Santier est stupéfiante. D’abord, cette affaire aurait pu demeurer cachée à tout jamais, selon la volonté de l’institution, si la presse catholique ne s’en était pas emparée, pour la mettre au jour. Est-ce à dire que les prêtres veulent laver leurs affaires sales en famille et méprisent ainsi le « bon peuple » des paroisses qui ne doit pas savoir, qui n’a pas à savoir ? Oui, de toute évidence. Sans doute, selon une vieille idée d’avant le concile Vatican II, le « peuple » n’est pas considéré comme partie prenante de l’Église. Ainsi cet évêque, tout déméritant qu’il fut de sa charge, aurait pu finir sa vie dans un monastère de femme dans la considération mensongère et pharisienne du silence. 

On aurait aimé une prise de position claire et nette contre ces déviances, disant à quoi s’en tenir, et indiquant des manières de faire désormais plus de transparence.

De qui se moque-t-on ? Des laïcs, trop bêtes pour savoir. De la vérité, dont il faut rendre compte, même si elle est rugueuse, délicate, infamante. Des deux victimes, qui se sont déjà fait connaître. Mais surtout, de toutes les victimes qui, quand la vérité apparaît une fois et qu’elle est reconnue par l’institution, osent braver la honte ressentie et dire qu’elles ont été, elles aussi, reluquées par un pervers en col romain qui, en échange d’une absolution, demandait, devant le Saint-Sacrement, qu’ils retirent un à un leurs vêtements. On se moque du monde, comme s’il fallait « sauver » les apparences et rester arc-bouté aux procédures secrètes, alors même que Jésus s’en était pris aux pharisiens qui se cachent derrière les prescriptions. 

Un secret qui choque

Il a donc fallu attendre une semaine pour que le président de la Conférence des évêques de France fasse une déclaration, une courte déclaration qui tient sur une page. On aurait aimé une prise de position claire et nette contre ces déviances, disant à quoi s’en tenir, et indiquant des manières de faire désormais plus de transparence. Au lieu de cela, un sentiment d’impuissance et de manque de courage domine. Les faits sont reconnus à demi-mots sans être indiqués — alors qu’ils sont avérés. La double corruption de deux sacrements (la confession et l’eucharistie) n’est pas dénoncée. L’usage pervers des pouvoirs d’un prêtre, de dénouer sur terre ce qui sera dénoué dans le ciel, n’est pas stigmatisé. Un clerc a sciemment, pour ses petites perversions sexuelles, bafoué le ministère qu’il est censé honorer. Il est même devenu évêque pendant vingt ans.

Il y a là un « scandale » qui, est-il dit (Mt, 18, 6), devrait conduire l’Église à lui mettre une « meule » autour du cou pour mieux le « jeter au fond de la mer ». Là, nulle question de « scandale ». Nulle question de meule d’âne à mettre autour du cou. Nulle question de réduction à l’état laïc. Nulle question de sanction à l’égard des autres évêques qui se sont tus ou ont fait comme si de rien était. Certes il est question de « sanctions » administrées par « l’autorité du Saint-Siège » mais celles-ci sont demeurées secrètes. Ce secret choque. Le communiqué « comprend » ces « critiques », il les entend. Mgr de Moulins-Beaufort les « reçoit ». Il dit même que « nous devons réfléchir à des changements dans nos procédures ». 

Le silence ne protège pas les victimes

Que va-t-il se passer — alors que le sujet est sur la table depuis au moins vingt ans ? « Une étude sérieuse » va être diligentée. Les évêques vont y travailler lors de leur assemblée de novembre. Et quand, plus tard, des « recommandations » seront faites, elles seront portées à Rome. Ah ! on a le sentiment d’entendre cette même rengaine depuis vingt ans ! Rien n’est dit sur les raisons de cette transparence, sinon qu’une « tension » existe entre « le droit canon » et « les pratiques de la justice ». Or, nous savons, depuis longtemps, que le secret se retourne toujours contre les victimes et protège les coupables. 

Si la « compassion », mise en avant dès le début de la déclaration, allait jusqu’au bout d’elle-même, les évêques comprendraient que la parole dite libère la parole non-dite.

Si la « compassion », mise en avant dès le début de la déclaration, allait jusqu’au bout d’elle-même, les évêques comprendraient que la parole dite libère la parole non-dite. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Depuis que cette « affaire » a éclaté au grand jour, d’autres victimes, cinq à cette heure, se sont faits connaître. Se mettre à la place de l’autre, souffrir avec lui, oblige à faire sauter la chape de plomb des enquêtes cachées qui ne protègent personne, et surtout pas les victimes, sinon l’institution, sinon le prédateur. 

Thomas Philippe a été sanctionné, après quatre ans d’enquête, en 1956, pour des questions de mœurs, et cette sanction étant restée secrète, cela ne l’a pas empêché de recommencer, de faire d’autres victimes pendant des années. Idem pour son frère, Marie-Dominique Philippe, sanctionné lui aussi en 1957. Jusqu’à leur mort, ces deux frères ont commis de multiples actes de corruptions des âmes, des corps, de l’état clérical qui était le leur, alors même qu’ils étaient « couverts » par le secret des sanctions. Quelles leçons en tirer, sinon une clarté et une confiance partagée ? Pourquoi admettre des victimes collatérales liées au silence ? 

Le courage de la vérité

On ne peut pas mettre en avant la « compassion » pour les victimes et, par le culte du secret, les renvoyer toujours et encore à leur culpabilité d’avoir été victimes, d’avoir été abusé par des prêtres. Il faut avoir le courage de la vérité. Le courage de la parole dite qui ouvre le cœur des victimes non encore déclarées. Le courage des dénonciations claires, évidentes, sans tergiversations, des « scandales » commis par des « ministres » de Jésus. « Malheur à l’homme par qui le scandale arrive » (Mt, 18, 7). Et si ce courage fait défaut aux évêques, qui, dans une attitude un peu infantile, vont porter une supplique à Papa-Pape qui va y réfléchir et donnera son avis, alors leur autorité en est ébréchée. Comment les croire ? Comment les entendre sur ces sujets et d’autres ? Comment ne pas entendre ce grondement stupéfait et réprobateur qui monte du « peuple » des fidèles, des laïcs méprisés, des troufions des paroisses qui n’en peuvent plus ? Comment ne pas penser à ce que disait Jacqueline Pascal, quand elle prit la parole après avoir constaté que les évêques se taisaient : « Quand les évêques ont le courage de jeunes filles, il faut que les jeunes filles aient un courage d’évêque ? » Allez courage MM. les évêques ! Courage. La vérité rend libre. 

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