En ce début de XVIIe siècle, l’Italie du Nord, région pourtant florissante, connait une grave crise économique et sociale, due à plusieurs mauvaises récoltes consécutives. Pauvreté, famines et hygiène précaire augmentent les risques épidémiques. De fait, les premiers foyers de peste bubonique apparaissent à Côme en 1629, se propagent rapidement à Milan, Gênes, Bologne, Florence et, en 1630, à Venise. Malgré les mesures rapidement prises par les autorités, la maladie ne cesse de d’étendre, emportant des milliers d’habitants. Le désespoir est tel que la toute-puissante République vénitienne n’a d’autre choix que se tourner vers le Ciel. Et le Doge Nicolò Contari de faire un vœu solennel : si la Mère de Dieu chasse l’épidémie, il lui élèvera la plus belle église de la ville.
L’incontournable fête de la Madonna della Salute
Sa construction est décidée presqu’immédiatement par le Sénat, qui débloque 50.000 ducats d’or à cet effet – le coût total de l’entreprise se chiffrera à 400.000 ducats. Le 1er avril 1631, la première pierre de l’édifice est posée, tandis que la pestilence, elle, reflue jusqu’à disparaître totalement. Les travaux sont guidés par l’architecte Baldassare Longhina qui y consacrera 50 années de sa vie mais mourra avant de la voir achevée. Symbole de renaissance, la majestueuse basilique est enfin consacrée le 9 novembre 1687 par le patriarche Alvise Sagredo.
Depuis cette date, et conformément à la promesse du Doge Contari, les Vénitiens s’y rendent en pèlerinage une fois par an, afin de commémorer la libération de leur ville et honorer celle qui y contribua par son intercession. Célébrée le 21 novembre, la fête très populaire de la Madonna della Salute (Notre-Dame de la bonne santé et du salut) est un moment fort de communion pour la Sérénissime et démontre l’attachement toujours aussi fort des Vénitiens à cette dévotion. Neuf jours intenses de messes et de processions la précèdent ; par milliers, seuls ou en famille, les habitants de la Lagune illuminent la Basilique de leurs bougies et l’emplissent des murmures de leurs actions de grâce ou de leurs supplications. La Madonna reste un point de repère dans les joies comme dans les épreuves ; c’est d’ailleurs vers elle que les prières sont montées de manière spéciale durant la pandémie de Covid.
Une merveille architecturale
L’œuvre de Longhina force l’admiration : surélevée et accessible par un grand escalier, elle repose en réalité sur plus d’un million de pilotis, enfoncés dans la vase. L’édifice baroque de forme octogonale est surmonté d’un premier dôme, gigantesque, qui évoque la couronne de la Vierge Marie, et d’un second, plus petit. Son intérieur, vaste et lumineux, abrite plusieurs peintures de grands maitres vénitiens, tels Titien ou Le Tintoret, lesquelles ornent les six chapelles mineures ainsi que la sacristie.
Mais c’est le maître-autel qui attire d’emblée le regard du visiteur. Le groupe sculptural en marbre qui le domine, réalisé par Josse Le Court, représente la Vierge à l’Enfant, devant lesquels la peste bat en retraite. Enchâssée dans la même structure, se trouve la sainte icône dite de la Panagia Mesopantitisa, que la tradition attribue à saint Luc. Cette image vénérée était la protectrice de la ville crétoise de Candie (aujourd’hui Heraklion) qu’ont longtemps contrôlé les Vénitiens. Ils l’emportèrent lorsque l’ile tomba aux mains des Ottomans, en 1669. Elle fut ensuite installée dans cette basilique.
Son extérieur se distingue enfin par un grand nombre de statues représentant les prophètes et rois de l’Israël biblique ayant annoncé la venue du Messie, ainsi que les grandes figures féminines – et mariales – de l’Ancien Testament. Au sommet de la principale coupole, trône une statue de la mère de Dieu, tenant dans sa main le bâton de Capitan de Mar, le commandant en chef de la flotte vénitienne.