Alors même qu’aucun courant politique ne remet en cause l’avortement dans notre pays, alors que l’encre de la loi qui allonge le délai de 12 à 14 semaines est à peine sèche et que les garde-fous mis en place au moment de la loi Veil de 1975 s’étiolent les uns après les autres, dans le sens unique d’une banalisation, d’une facilitation et d’une négation de la réalité de l’IVG, une énergie stupéfiante (et donc un temps colossal pour les parlementaires) est réquisitionnée par les lunes de quelques-unes qui veulent à tout prix inscrire ce “droit” dans la Constitution. Surréaliste.
Un simple regard sur les taux d’avortement prouve que son accès n’est en rien entravé dans notre pays, ils restent dramatiquement stables et hauts. Mais surfant sur la vague d’inquiétudes suscitée par le revirement de la Cour suprême des États-Unis le 24 juin, une situation qui n’a évidemment rien à voir avec la nôtre, ce 24 novembre, un pas de plus vient d’être franchi avec l’adoption par l’Assemblée nationale de la proposition des Insoumis par 337 voix contre 32. Après réécriture et semblants de débats, la formulation retenue tient en une phrase : “La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse.”
Postures idéologiques
Mais le chemin jusqu’à la norme la plus élevée de l’ordre juridique est encore long. Elle doit pour cela être votée à l’identique par le Sénat. Et si tel était le cas, ce qui semble peu probable, elle serait soumise au peuple français par référendum, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi qui émane de parlementaires. Raison pour laquelle les députés, conscients de l’issue incertaine de leur combat, n’ont de cesse d’exhorter le gouvernement à présenter son propre projet de loi qui, s’il passait la barrière des deux chambres, ne serait pas soumis en fin de course à ce même impératif.
À la sortie de l’hémicycle, les journalistes ont filmé un groupe de femmes députées chantant, certaines au bord d’un évanouissement de joie.
À la sortie de l’hémicycle, les journalistes ont filmé un groupe de femmes députées chantant, certaines au bord d’un évanouissement de joie. Elles en font des tonnes. Et cela met mal à l’aise. Dans l’hémicycle puis face aux micros, elles s’attribuent elles-mêmes le rôle de porte-parole “de la France qui parle au monde”. “Avec ce vote, clame Mathilde Panot, chef du groupe LFI à l’Assemblée nationale, la France parle au monde et envoie un signal magnifique à l’ensemble des femmes de notre pays et du monde.” Rien que ça… Des sénateurs ne s’y trompaient pas en qualifiant ces démarches de “purement proclamatoires et symboliques”. Difficile de ne pas être saisis par le décalage, l’abîme, qui sépare ces postures idéologiques de la réalité de l’avortement aujourd’hui.
Un silence incompréhensible
Enlever les œillères, c’est l’assurance de déchanter. Difficultés et inquiétudes économiques, difficultés pour concilier vie professionnelle et familiale, manque de soutien, anxiété sur l’avenir… Les causes qui conduisent à avorter sont multiples et “nous sommes témoins que toutes les femmes n’avortent pas librement et par choix” rappelle régulièrement Caroline Roux, au plus près du terrain puisqu’elle coordonne le service d’écoute pour femmes enceintes en difficultés d’Alliance Vita. Quant aux souffrances et conséquences durables laissées dans la vie et le cœur de nombreuses femmes — pas toutes évidemment —, la défense et la protection de celles qui souhaiteraient éviter l’avortement ou les moyens de prévention urgent à penser, tout cela reste tu. Un silence incompréhensible, lâche et complice.
Ce vote est intervenu la veille de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Comment ne pas s’émouvoir de l’effacement total dans ces débats de cette douloureuse réalité : de nombreuses femmes avortent sous la pression de leurs conjoints ou de leur entourage, pire : “Les violences conjugales contre les femmes débutent souvent lors de la première grossesse, et dans 40% des cas, redoublent au cours de celle-ci” comme le rappelait pourtant le rapport sur Les 1.000 premiers jours remis au gouvernement il y a seulement deux ans. Ces violences-là aussi sont tues. Un délit d’entrave à la vérité.