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Mercredi 30 novembre, 18h00, le flash info d’une radio publique l’affirme : à l’issue de la partie, la France a arraché le match nul 1-1 contre la Tunisie. Mercredi 30 novembre, 18h02, le même journaliste l’affirme aussi nettement : la France vient d’être battue par la Tunisie, sur le score d’un à zéro. On pourrait en faire une fable sur les méfaits du culte de l’immédiateté, sur la nécessité de vérifier les informations ou même sur la fragilité et la relativité de toute victoire et de toute défaite. C’est pourtant la brève explication qui a suivi qui retient l’attention : “Le but a été annulé après consultation de l’avare.” L’avare ! A-t-on bien entendu ? Un milliardaire qatari a-t-il trouvé un moyen subtil de ne pas avoir à verser une prime au buteur ? A-t-on soudain mis la Coupe du Monde sous la figure des quatre cents ans de la naissance de Molière, pour tenter de faire oublier toutes les polémiques ? Est-ce Harpagon, peu patriote, qui a privé la France de l’égalisation ?
Après consultation de “la VAR”
À l’évidence, quelque chose a dû échapper au naïf qui croyait encore pouvoir comprendre un match de foot sans connaissances linguistiques spéciales. Goal, touche, corner, dribble, hors-jeu, coup franc, penalty, but… il pensait que le bagage initial mi-français, mi-anglais, appris dans une cour de récréation, pouvait lui suffire toute sa vie pour ne pas être perdu devant ce sport toujours présenté comme populaire, ce qu’il supposait vouloir dire accessible à tous, y compris dans son vocabulaire. Ce naïf était même prêt à admettre une lente évolution du langage et il avait fait mine de comprendre pourquoi il était devenu un jour nécessaire de débaptiser le “six mètres”, pour en faire une “sortie de but”. Tant que ça se passait dans la surface de réparation, il conservait ses repères spatiaux de base.
Mercredi 30 novembre, le naïf a découvert que son lexique était insuffisant pour suivre. Se doutant qu’aucun avare ne pouvant annuler un but, il s’est informé et a appris que tout auditeur de Radio France était censé savoir ce qu’était la VAR. Comme on lui avait raconté le même jour qu’un élève d’un collège privé avait demandé “c’est quoi l’évêque”, il s’est dit que Dieu avait décidément changé de terrain. “Le but a été annulé après consultation de la VAR”, donc. Il paraît que cela signifie Video Assistant Referee et qu’on ne sait pas trop si cela désigne l’arbitre assistant qui est derrière la caméra (on dirait alors le VAR) ou l’assistance vidéo elle-même. Cela suggère que les places respectives de l’homme et de la machine ne sont pas très claires dans cette affaire.
Ces tragiques erreurs d’arbitrage
Présente depuis 2019 en Ligue des champions, la VAR marque une rupture autant linguistique que sportive. Rupture linguistique, parce que jusque-là, le foot semblait épargné par l’usage d’acronymes incompréhensibles pour le vulgaire. Peut-être même était-ce le seul point sur lequel il n’offrait pas un miroir grossissant des maux de l’époque. Rupture sportive, bien sûr, parce que la VAR prétend mettre fin à ce qui jusque-là faisait une bonne partie de l’intérêt du spectacle sportif : la possibilité de l’erreur d’arbitrage. Quoi, vous faites l’éloge de la faute non sifflée, du penalty non mérité, du but refusé à tort ! Va pour la main de Thierry Henry contre l’Irlande qui avait permis la qualification pour le Mondial 2010, mais France-Allemagne 1982, qu’est-ce que vous en faites ? Traître à la cause de Battiston sortant sur une civière ! Collabo de Schumacher impuni ! Avouez-vous que la VAR aurait permis un arbitrage plus juste…
Soit, mais qui ne voit que ces erreurs d’arbitrage ont seules la capacité d’élever des matchs au-delà de leur simple résultat, anecdotique et vite oublié ? Qui ne voit que c’est dans de telles injustices, bien plus que dans une victoire, qu’une nation puise une mémoire commune ? Même une finale de Coupe du Monde gagnée trois-zéro peut-elle avoir le même poids ? Qu’apporte-t-elle, sinon une brève euphorie, une ponctuelle hausse des ventes de bière et un travail accru pour ceux qui nettoient les rues ? Rien qui soit à la hauteur du drame créé par une défaite sur faute d’arbitrage, seule chance de rapprocher une série de courses un peu vaines derrière un ballon de la grandeur tragique qu’évoquait Racine dans la préface de Bérénice : “Il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.” Pour qui tient à chercher une grandeur dans le sport télévisuel, le visage de Maxime Bossis ratant son tir au but en 1982 et celui de Laurent Blanc, exclu pour une faute qu’il n’avait pas commise en demi-finale du Mondial 1998, valent largement les danses du ventre de tous les buteurs heureux.
Technologie et procédures
La VAR est au fond comme la plupart des solutions technologiques : elle ampute la vie qu’elle prétend faciliter, elle rêve de donner la froideur d’une équation incontestable à un score toujours discutable, car partiellement soumis au hasard et à l’erreur. La suite de l’histoire de ce France-Tunisie est d’ailleurs tout aussi révélatrice. La Fédération française de football a fait une réclamation, non en contestant le hors-jeu qui a justifié l’annulation du but, mais parce que la décision a été prise après le coup de sifflet final. Le but n’était pas valable, donc, mais déposons tout de même un recours ! Le foot a ainsi achevé d’être l’image caricaturale du temps : à l’interminable liste des maux du foot professionnel et du néo-paganisme des dieux du stade, on peut désormais ajouter la logique procédurière.
Certains résument le monde actuel par une formule simple : la guerre de tous contre tous par avocats interposés. La VAR permet de compléter la formule : la guerre de tous contre tous par avocats interposés, oui, et sous surveillance vidéo. C’est encore un fois Molière qui a raison : la peste soit de la VAR !