Dans la vie d’Emilio, âgé désormais de 64 ans, il y a un avant et un après. Au centre, un évènement tout bête et pourtant gravissime, à l’approche de la quarantaine : un ballon reçu en pleine tempe sur un terrain de football qui lui a valu 23 jours de coma, un mois d’hospitalisation et de lourdes séquelles. “Ce coup du sort m’a dévasté, admet-il, une pointe d’émotion dans la voix : à la fois joueur et entraineur, j’allais au foot pour m’amuser. J’étais fort, vigoureux et voilà que je me retrouvais très diminué, obligé de marcher avec une canne jusqu’à la fin de mes jours. J’en éprouvais de la honte, et beaucoup d’amertume.”
Emilio a pourtant été élevé dans une famille où s’apitoyer sur son sort n’était pas de mise : fils d’immigrés espagnols qui ne rechignent pas à la tâche, il grandit dans la Marne, près du lac de Der. Influencé par son père bûcheron, il décroche un CAP de menuisier à 16 ans, trime dur jusqu’à 18 ans en abattant et débitant à son tour des arbres, s’y épuise, bifurque vers la pose de clôtures et bâtisses… Devient enfin à 22 ans ouvrier forestier pour l’Office national des forêts de Sologne. Il y fera toute sa carrière.
En 1979, il épouse une amie d’enfance. “À l’Église, précise-t-il, car nous, les Espagnols avons le sens du sacré. Maman se rendait souvent à la messe, papa moins, mais il aimait le Christ”, reprend-t-il. “En dépit d’une pratique familiale irrégulière, mon frère et moi avons donc été élevés dans la foi : baptême, première communion, confirmation. J’ai même été enfant de chœur. Et puis, comme souvent, à 14 ans j’ai tout lâché.” Par tradition, Emilio et sa femme font néanmoins baptiser leurs deux enfants, David et Emilie.
La vie s’écoule paisiblement jusqu’à ce jour funeste de 1996 où un ballon le met KO : la fragilisation de son dos manque de lui faire perdre son travail. Emilio parvient à obtenir un mi-temps thérapeutique mais son moral en a pris un coup : “J’étais rongé par la colère”, décrypte-t-il. “Contre le lanceur du ballon, contre le sort qui m’avait abîmé physiquement et privé de ma force de travail. Je ne m’y résignais pas. J’ai eu beau me faire épauler par un psychiatre, pendant une quinzaine d’années, rien n’y faisait. Je me suis renfermé et suis devenu un autre homme, maussade et agressif.” Sa femme en fait les frais, si bien que pour éviter de lui imposer son humeur morose et son irascibilité, il juge préférable de se séparer d’elle et demande le divorce.
C’est son fils David, dont il est très proche, qui le tire de ce mauvais pas. “Je me rappelle mot pour mot ce qu’il m’a dit un jour de 2014”, relate Emilio : “Papa, tu portes un lourd fardeau. Donne-le au Seigneur, il le portera pour toi”. Son ancrage dans sa foi a réveillé la mienne. J’ai compris que je pouvais me reposer en Jésus-Christ.”
“Je suis à toi, pour toujours”
Dès lors, le chef de famille se ressaisit doucement. Il se tourne vers sa paroisse pour reprendre des cours de catéchisme : “Une paroisse très dynamique tenue par la fraternité Saint Thomas Becket, qui m’a chaleureusement accueilli. J’ai repris le chemin de la messe, et même intégré la chorale.”
De ce retour vers Dieu, il tire “une force incroyable”, allant jusqu’à affirmer que si cet accident l’a beaucoup éprouvé, il l’a aussi ramené vers l’essentiel : “Je mesure aujourd’hui qu’avant, sans Jésus-Christ, j’étais perdu. C’est une joie de retrouver la foi. Maintenant, je dialogue constamment avec mon Père céleste…”
Cette intimité retrouvée avec le Créateur réajuste tout. Emilio retrouve confiance en lui et discerne mieux ce qui compte vraiment : “Être à l’écoute des autres, penser à eux, vouloir le bien de mes enfants, de ma femme.” Il commente : “Je l’appelle toujours ma femme car j’ai compris que lorsqu’on est marié par Jésus-Christ, c’est pour la vie. Mon divorce a été une erreur de parcours, mais pour Dieu, il ne compte pas. Je reste pour toujours le mari de celle à qui j’ai promis fidélité à la vie à la mort. Le Seigneur est là, entre nous.” Emilio a apprivoisé le célibat car il se sait indissolublement lié à son amour de jeunesse : “Je l’aimerais toujours, elle reste ma petite perle…”
Cette dernière n’a pas non plus refait sa vie, et n’habite qu’à quelques encablures : “Nous nous retrouvons autour de nos quatre petits-enfants”, se réjouit-il. “La vie nous cabosse, il faut savoir goûter ces joies familiales toutes simples et rendre grâce.”