Un certain nombre d’affaires récentes mettent en lumière ce qu’il est convenu d’appeler une “culture cléricale”. L’expression est du pape François et elle ne concerne pas que le clergé. Elle se caractérise par le rejet conscient ou non de la pluralité des opinions, l’incapacité à laisser interroger la gouvernance par de véritables contre-pouvoirs, et par le refus de s’appuyer sur des tiers, laïcs, pour discerner et décider.
Vox populi, vox Dei : cette définition de la culture cléricale est ratifiée par les sept rapports envoyés à Rome et rédigés par les Églises des différents continents et sous-continents au sujet de l’avenir de l’Église. Il y a là la manifestation d’un rejet clair et net, qui dépasse tout clivage et toute catégorie, d’un mode de fonctionnement qui est en train d’imploser sous nos yeux dans les sinistres affaires, lesquelles dévoilent une forme de pourrissement impossible aujourd’hui à masquer.
Pouvoir et autorité
Dans l’Église, comme d’ailleurs partout dans la société, le monarchisme absolu ne peut plus se justifier par la nécessité. Ses derniers défenseurs en sont réduits à des contorsions qui les discréditent et les mettent de plus en plus rapidement hors-jeu. Mais ce mode de fonctionnement qui s’efface nous place face à deux questions : la première sur l’exercice du pouvoir au sommet de la pyramide, la seconde sur la manière dont, plus largement, sur le terrain, l’autorité s’exprimera.
Nous ne sommes pas démunis devant cette double inconnue. La vie des monastères peut être inspirante, puisque l’abbé y est élu et rend compte à son chapitre, et l’exemple s’étend à toute la vie religieuse qu’elle soit apostolique ou contemplative puisque les responsables y sont eux aussi élus pour une durée déterminée.
Autre piste, plus floue car encore peu explorée, celle que la synodalité ouvre pour nous tous. “Avancer ensemble” : l’expression est ambitieuse et séduisante mais, avouons-le, personne ne sait très bien comment faire car peu s’y sont risqués longtemps et en vérité. L’objection vient aussitôt : qui commande, qui décide ? Nulle organisation humaine ne saurait être féconde sans une hiérarchie et un organigramme. Il est touchant d’entendre cet argument être tenu souvent par ceux-là même qui insistent sur la sainteté de l’Église : car, précisément, n’est-ce pas là l’acte de foi que nous pourrions poser ensemble, que de croire que cette démarche est un fruit de l’Esprit ?
N’avançons pas en aveugle
Depuis le rapport de la Ciase, des groupes de travail ont été suscités par la Conférence des évêques de France pour répondre aux grandes questions de préventions, d’accompagnement et de gouvernance que ces révélations nous convoquent à aborder. Le huis-clos lors de la remise des rapports de ces groupes et la prise en compte d’un nombre infime des recommandations qu’ils préconisaient, en dit long sur l’incapacité d’un système à se réformer, et ce malgré l’effort même déployé par certains de ces membres (voire une majorité) pour y parvenir.
C’est qu’un corps ne se cure pas tout seul. Il lui faut se fier à un médecin et aux remèdes prescrits. Nul ne se soigne lui-même. Bien malin qui peut aujourd’hui dire comment “cela va-t-il se faire”. Mais il est certain que rien ne se fera sans l’action de l’Esprit. Auquel nous devons consentir sans condition ni tentative de mettre sur lui la main.
Ne pas comprendre n’est jamais une raison suffisante pour refuser la confiance.
Il y a dans l’évangile de Luc une page saisissante de ce qu’il advient d’un prêtre qui, entendant pourtant l’accomplissement de la Promesse lui être annoncée par le Messager, refuse d’y ouvrir son cœur. Lui, Zacharie, qui connaissait les prophéties et avait pour mission d’élever des prières vers le Ciel afin que la Parole prenne chair, s’étonna que son intercession puisse être entendue et qu’il lui soit répondu. Il en devint muet.
C’est ce qui arrivera à notre Église si rien ne se passe : dans nos pays elle deviendra muette. D’ailleurs ne l’est-elle pas déjà en partie ? Le vieux prêtre retrouva la parole par la foi de sa femme qui prophétisa pour lui la naissance du fils inespéré, provoquant chez son mari la prise de conscience salutaire. Que l’incertitude du moment présent ne nous égare pas : ne pas comprendre n’est jamais une raison suffisante pour refuser la confiance. N’avançons pas en aveugle, mais croyons que nous sommes guidés par Celui qui rend toute chose possible.