On ne connaît pas la date précise, mais c’était vers les années 30 de l’ère chrétienne, un jour vers midi. L’ange du Seigneur s’adressa à Philippe : “Mets-toi en marche en direction du sud, prends la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte.” (Ac 8, 26). Philippe est l’un des diacres dont les Apôtres s’étaient entourés pour les aider dans le service de la croissance de l’Église. Le Christ était ressuscité depuis peu de temps, la Pentecôte avait soufflé tout récemment sur ceux que Dieu avait choisis, et l’onde de grâce de ces événements n’en finissait pas de parcourir le monde.
On nous accordera que l’appel de l’ange est ici plutôt déconcertant. Le diacre est appelé à sortir à une heure où la chaleur est insupportable sur une route, précisément semble-t-il parce que celle-ci est déserte. Philippe part sans autre instruction ; il devra apparemment se trouver au bord de la route et comprendre par lui-même ce qu’il aura à y faire. Or justement il aperçoit de loin une colonne de poussière et le vacarme d’un char se rapproche de lui. L’automobile n’était pas encore inventée, mais l’auto-stop allait commencer.
À bord du véhicule
À bord du véhicule, un dignitaire éthiopien de retour de son pèlerinage à Jérusalem. Il lisait le prophète Isaïe. Preuve que les suspensions n’étaient pas si mauvaises qu’on croirait. Indice peut-être aussi qu’il ne conduisait pas lui-même, sécurité routière oblige. Pas de covoiturage, où l’on s’attendrait l’un l’autre. Auto-stop à l’ancienne, à l’improviste. Pour une telle invention, ce n’est plus l’ange de Dieu, c’est l’Esprit Saint lui-même qui prend les commandes. “Approche, et rejoins ce char” dit-il au diacre. Philippe obéit si bien qu’il court pour rejoindre l’engin. Il ne faut pas se rater, quand il est midi dans une contrée déserte, un jour que la circulation est plutôt calme.
Entendant que l’Africain lisait le prophète ancien, Philippe demande ingénument : “Comprends-tu ce que tu lis ?” Chacun sa technique, parmi les stoppeurs. Celle-ci sera payante et elle est inspirée : l’exégèse de Philippe est vraiment bienvenue. Il est invité à bord, et partant de ce passage de l’Écriture, où se prophétisaient les souffrances par lesquelles le Messie sauverait le monde, “il lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus“.
Une vérité de l’auto-stop
Le char passait sur la route, et Jésus passait dans l’Écriture. C’est une vérité de l’auto-stop, surtout quand l’Esprit Saint s’en mêle : le passager qui monte à bord a parfois beaucoup moins besoin d’aller à Gaza que son conducteur d’aller vers Jésus… Et la destination est atteinte en moins de temps que ne laisseraient espérer certains moyens de locomotion. Sur une aire, on tombe sur un point d’eau en libre-service. L’Éthiopien n’hésite plus : “Voici de l’eau, qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ?” Philippe n’hésite pas non plus : aucun code de droit canonique se semblait s’opposer à ce qu’en un instant, en un seul homme, le baptême de toute l’Afrique soit annoncé, et que soit fondée la plus vénérable des Églises du Continent noir : les chrétiens d’Éthiopie s’en réclament encore aujourd’hui.
Pas étonnant qu’aujourd’hui encore, des religieux et religieuses, des étudiants et des prêtres tendent le pouce au bord des routes pour s’inviter dans d’autres chars. Et les confidences s’ouvrent, les confessions pleuvent, la Bonne Nouvelle se susurre qui répond aux questions, et l’on parle du baptême et de la Source vive… L’Éthiopien était bien seul devant ce texte qu’il ne comprenait pas, bien seul avec ses questions, avec son désir de Dieu sans doute. Philippe a crevé sa bulle, il s’est invité auprès de lui pour que l’aide d’un frère ouvre la voie à Dieu.
Le véhicule privé a quelque chose d’un symbole : celui de l’isolement auquel nous conduit l’individualisme contemporain. C’est cette bulle de verre que toute œuvre d’évangélisation tente de franchir, à l’appel du Saint-Esprit, pour y engouffrer le Ciel…