La question de la lutte contre le changement climatique n’est pas une question hors-sol a bien des égards. Elle s’inscrit dans un cadre économique national et international lui-même en crise et en débat. Et vient souvent percuter d’autres discussions. La crise des gilets jaunes en France est dans tous les esprits. Au niveau international, le sommet de Paris organisé par le président de la République les 22 et 23 juin 2020 a ainsi, de manière très crue, montré la difficulté à réconcilier la préoccupation climatique et la préoccupation de lutte contre la pauvreté.
La responsabilité des pays du Nord
Le Sud global — puisque c’est comme cela qu’on prend l’habitude de l’appeler aujourd’hui — souligne que le changement climatique est largement un héritage des pays du Nord. Ce sont les économies avancées qui ont utilisé le budget carbone de la planète — et la réflexion est la même s’agissant de leur impact sur la biodiversité —, et ce sont ces mêmes pays qui, après avoir “joui des fruits de la croissance fossile”, poussent la planète à s’adapter à un nouveau régime environnemental plus durable. En arguant d’ailleurs que ce sont les pays les plus pauvres qui seront les premières victimes. Ces pays ont le sentiment que les pays avancés souhaitent modifier l’agenda à leur profit, c’est-à-dire faire de la lutte contre le changement climatique une priorité internationale, servant d’abord et avant tout les pays qui ont déjà fait leur mutation économique, et mettant une pression indue sur des pays moins avancés qui n’ont pas encore pu “profiter des avantages du développement économique”. Et que ce faisant, on substitue insidieusement la lutte contre le changement climatique a la priorité donnée historiquement à l’éradication de la pauvreté et au développement économique.
Un effort collectif
Un des enjeux du sommet a été précisément de montrer qu’il ne fallait pas dissocier les deux combats, que le changement climatique est une donnée qui s’impose à tous, une donnée planétaire par excellence, et que, si elle s’impose, elle ne devait pas se substituer aux priorités précédentes. Une politique de lutte contre le changement climatique réussie est une politique qui ne laisse — pour reprendre les mots d’une tribune signée conjointement par 13 chefs d’État, dont Joe Biden, Luiz Inácio Lula et Emmanuel Macron — personne au bord de la route. C’est évidemment plus facile à dire ou à écrire qu’à faire. Les ressources publiques et privées ne sont pas illimitées. Mais nous sommes à un de ces moment où, de fait, nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas ne pas faire face aux défis climatiques et nous ne pouvons pas ne pas faire face au défi social, au défi du développement, au défi de la pauvreté. Les deux encycliques du pape François, Laudato si et Fratello tutti l’ont souligné avec force et gravité.
Il est temps de retrouver une dimension authentiquement universelle.
Ce double défi est vertigineux. Il va nécessiter davantage de ressources financières, davantage de ressources intellectuelles et, osons le dire, davantage d’imagination. Et précisément au moment où la planète se fracture, où le débat se fragmente, il est temps de retrouver une dimension authentiquement universelle, qui ne devrait pas faire peur à des chrétiens qui ont, je crois, de ce fait une responsabilité particulière en la matière. On ne peut pas, chacun chez soi, regarder les fractures se multiplier et attendre que ça se passe. Il nous faut, collectivement, faire face à ce double défi environnemental et social, mobiliser les ressources nécessaires. Et surtout ne pas baisser les bras. Il n’y a pas de remède miracle mais un effort collectif. Et ces deux mots, efforts et collectifs, aussi difficiles nous paraissent-ils, sont ceux qui doivent nous guider pour les années qui viennent.
Tenons nos engagements
Très concrètement, cela signifie d’abord engager un dialogue sincère avec toutes les parties prenantes. Il n’y a personne qui tient le stylo pour compte commun. Il n’y pas de maître du monde. Nous devons d’abord et avant tout nous écouter les uns les autres. Mais cela signifie aussi être sérieux. Sur le plan financier. Sur le plan du transfert des technologies ou encore sur le plan commercial. C’est-à-dire ne pas nous contenter de mots. Mais proposer des approches nouvelles et des financements nouveaux. Des financements publics d’abord. Reconnaissons-le : depuis cinquante ans, très rares sont les pays qui ont été à la hauteur des objectifs fixés alors — 0,70% du PNB — en matière d’aide au développement. La France est remontée à 0,55%. C’est un progrès, mais cela reste insuffisant. Et la France fait partie des bons élèves. Il faut donc mobiliser des ressources publiques au-delà du symbole 100 milliards de transferts par an pour le climat du Nord vers le Sud posé à Copenhague, repris à Paris et à chaque COP depuis et pourtant jamais atteint. Cet effort est indispensable.
N’ayons pas peur
Mais il faut aussi mobiliser des ressources privées de toute nature. Philanthropique et commerciales. Or, nous prenons précisément le chemin inverse. En partie du fait de circonstances financières plus adverses que ces dix dernières années. Les taux d’intérêt remontent. Les incertitudes sont plus fortes. L’argent est moins mobile, plus cher et plus rare. Dans ce contexte, les flux privés vers les pays émergents en développement restent minuscules. Et en tout état de cause, loin de ce qui est nécessaire pour faire face aux ambitions collectives que nous nous sommes assignées. Il y a des raisons objectives à cela. Il y a aussi des raisons plus subjectives, qu’il nous faut aussi regarder en face.
C’est notre jardin au sens large, notre planète, qui est en jeu.
Beaucoup d’entre nous pensons que nous avons déjà suffisamment de problèmes “à la maison”, “dans notre jardin”. Et donc nous sommes peu tentés de regarder derrière la haie le reste de la planète. Nous voulons cultiver notre jardin au sens strict. Alors même que c’est notre jardin au sens large, notre planète, qui est en jeu. Nous devons nous réintéresser au reste du monde, comprendre que si la question climatique n’est pas réglée partout, elle n’est réglée nulle part. Comprendre que la question sociale est une question non seulement morale, une question éthique, mais aussi une question clé pour un continent vieillissant en face d’un continent jeune, un continent où l’explosion démographique ne se fera pas sans conséquence.
La peur est là. Pour l’instant elle tend à paralyser. D’autres ont dit et répété — encore cet été à Lisbonne — “n’ayons pas peur”. Si nous y arrivons, alors nous serons capables d’embrasser ces défis et ensemble de nous mobiliser. Le pire serait de jouer à l’autruche et de ne pas regarder ces difficultés. De nous cacher dans notre jardin et d’oublier le reste du monde. Ouvrons les yeux et nos mains !