Cette semaine, plusieurs images m’ont frappées. D’abord, la Une du journal Society : un enfant hurlant, rouge de colère et de larmes, flanqué de cette question “Climat, inflation, enfer de la rentrée…, FAUT-IL ÊTRE FOUS POUR FAIRE DES ENFANTS ?” Ensuite, c’est la couverture d’un livre qui vient de paraître : Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant). Enfin, ce sont toutes ces images de bébés, de pouponnières et de femmes enceintes qui ont orné les articles consacrés aux derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur la natalité et qui confirment le baby crack français.
Le rabotage de la politique familiale
Ainsi, la natalité confirme sa chute, elle pourrait même être record en 2023. Elle a baissé de 7% au cours du premier semestre 2023 par rapport à 2022. Le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès, est au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour le démographe Gérard-François Dumont, interrogé par Le Figaro, c’est “la perte de confiance dans la politique familiale” qui serait la principale raison à cet effondrement. Ce directeur de la revue Population et Avenir relève que depuis cinquante ans, on observe systématiquement des pics de fécondité à la suite de mesures positives de politique familiale et forcément, l’inverse aussi.
Or “depuis le milieu des années 2010, le gouvernement a décidé de très forts rabotages dans la politique familiale. […] Ce qui freine le plus les couples, c’est qu’ils ne se sentent plus accompagnés dans leur souhait d’avoir des enfants”. On déplore donc un taux de fécondité désormais autour de 1,8 (le taux de renouvellement des générations est fixé à 2,1) alors même que des enquêtes montrent que le désir d’enfant serait supérieur à 2,3 enfants par femmes. D’autres raisons bien sûr s’y ajoutent : pouvoir d’achat, inquiétudes face à l’avenir, difficultés liées aux conditions de travail et modes de garde, mais également, l’imprégnation de plus en plus visible des esprits, par la culture du refus affirmé — voire du regret — d’avoir des enfants.
Le non-désir d’enfants
En 2022, un sondage choc Elle-Ifop montrait que parmi les femmes sondées en âge de procréer et n’ayant pas encore d’enfants, 30% déclaraient ne pas en vouloir. Le principal motif évoqué serait le refus des contraintes, des injonctions liées à la parentalité, de perdre ce qu’elles estiment être une certaine qualité de vie. On les appelle les “no kids”, les “childree” (libres d’enfants). D’après Elle, “un mouvement d’hédonisme souffle sur le (non) désir d’enfants des Françaises”. Sur ces femmes sondées et ayant répondu ne pas vouloir d’enfants, “50% estiment qu’un enfant n’est pas indispensable à leur développement personnel et 48% citent l’envie de rester libre, deux motifs jusque-là plutôt associés à la gent masculine”… L’autre fréquent motif serait lié aux revendications ou préoccupations écologiques, c’est le refus de mettre au monde un pollueur de plus. On les appelle les GINK : Green Inclination, No Kids (Engagement vert, pas d’enfants). De plus en plus, des hommes et des femmes, parfois jeunes et célibataires, se font volontairement stériliser, “geste éco-responsable ultime”. La ligature des trompes pour les femmes, vasectomie pour les hommes, est légale en France pour toute personne majeure, qu’elle ait déjà ou pas des enfants.
Ces nouvelles normes culturelles autour du non-désir d’enfant sont à l’image d’une société de “l’enfant projet”.
Enfin, le phénomène dit de “Regretting Motherhood” (regret maternel) se répand depuis quelques années via les podcasts et les réseaux sociaux. Citons l’exemple de Coline à propos de son fils Gaston, tiré du livre-témoignage Mal de mères (Lattès, 2021) : “Quand je le vois, je me dis que je pourrais très bien me passer de lui et retrouver ma vie d’avant. Celle où j’avais des amants. Le temps de faire ce que je voulais, comme je voulais, quand je voulais.” Ces mots sont effrayants, au-delà de cet exemple, mais par la portée qu’ils peuvent avoir dans la société. Un enfant peut-il se construire paisiblement entouré de ces pensées, même si elles ne sont pas objectivement verbalisées devant ou sur lui ?
Donner sa vie
N’est-on pas tout simplement là au bout d’une culture de l’individualisme, du fluctuant ressenti tout-puissant, sur l’autre face de la médaille du culte du droit à l’enfant, de l’enfant-projet, de la grossesse qui ne peut être que désirée et plus inattendue ? Ces nouvelles normes culturelles autour du non-désir d’enfant sont à l’image d’une société de “l’enfant projet”. Il ne s’agit pas de contester des décisions individuelles, celles de ne pas avoir d’enfant, car la fécondité ne se limite pas à la paternité ou à la maternité et avoir des enfants n’est pas une condition indispensable du bonheur ni pour se réaliser. Il peut même s’agir d’une décision issue d’un discernement éclairé et vraiment libre. Mais plutôt de s’inquiéter de cette mentalité qui flirte plus avec la désespérance et le néant qu’avec la confiance.
Face à cela, que peut-on proposer ? Rappeler que les enfants et les générations qui se renouvellent engendrent espoir et vitalité. Qu’il faut soutenir les couples et les jeunes parents. S’encourager aussi quand on a des enfants à ne pas seulement s’en plaindre, mais à nourrir et transmettre la joie de son foyer, à rayonner, même si donner la vie c’est aussi donner beaucoup de sa vie. Dans Éclats de vie (Emmanuel, 2019) j’ai écrit des paroles d’encouragement dans une courte lettre à la jeune femme que j’étais qui appréhendait de devenir mère :
N’aie pas peur. […] Par ses yeux tu regarderas le monde comme tu ne l’as jamais regardé. Pour lui, tu penseras l’avenir comme tu ne l’as jamais pensé. Avec lui, tu aimeras la vie comme tu ne l’as jamais aimée. Ne t’en fais pas. Quand il sera là, il sera ta force, ta boussole, et le vent dans tes voiles.
Vraiment, c’est une vraie question : pour qui et par qui une société peut-elle trouver l’énergie et l’envie de se battre pour le bien, le bon, le beau, si ce n’est pas d’abord pour tous ceux à qui nous passerons le flambeau ?