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Le statut très particulier des cardinaux “in pectore”

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Max-Savi Carmel - publié le 30/09/23

L’expression in pectore, "dans le secret du cœur", désigne la nomination secrète d’un cardinal afin de lui éviter d’éventuelles répressions. Si François n'y a pas recours pour le consistoire du 30 septembre 2023, depuis le XVIIIe siècle, cette disposition perdure et a protégé de nombreux cardinaux.

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Nous sommes le 21 octobre 2003. Alors qu’il est épuisé par un quart de siècle de pontificat, Jean Paul II tient son ultime consistoire. Il nomme 31 cardinaux dont un in pectore. Il n’aura pas le temps d’annoncer l’identité de l’élu avant de mourir un an et demi plus tard. Dans ce cas malheureusement, l’intéressé n’accèdera jamais à la dignité cardinalice, faute d’être révélé par le Pape comme le veut la tradition.

En 1423, Martin V invente l’usage en nommant deux cardinaux in pectore, Domingo Ram i Lanaja et Domenico Capranica. Ils seront révélés en 1430. Sauf qu’au début, les pontifes en confiaient les noms, sous secret, aux autres cardinaux. Ce qui a permis à Eugène IV d’intégrer dans le Sacré collège en 1432, le cardinal français Guillaume de Montfort créé in pectore en 1430 par son prédécesseur, mort dans la foulée. Plus tard, les noms des cardinaux in pectore n’étaient connus que du pontife. Objectif, éviter que des autorités temporelles opposées à des nominations de prélats qui leur étaient hostiles ne s’en prennent à eux ou ne tentent d’influencer la décision du Pape. Avec la Révolution française et son pendant anticlérical, la tradition in pectore a ainsi trouvé toute son utilité. 

Un recours fréquent jusqu’au XIXe

Tout au long du XVIIIe siècle, la pratique est imposée par l’hostilité sans cesse grandissante des gouvernements européens à l’égard de l’Église. À l’exception d‘Innocent XIII, qui a régné moins de trois ans, les sept autres souverains pontifes du XVIIIe ont nommé de nombreux cardinaux in pectore, notamment à quinze reprises pour Clément XI. Pie VI va y recourir treize fois. Objectif, protéger les cardinaux des répressions qui émanaient le plus souvent des monarques de leurs pays. À l’issue de la Révolution française (1789-1799), Pie VII qui entretenait des relations difficiles avec Napoléon Ier a dû nommer 26 cardinaux in pectore dont de nombreux français. Devenu pape en 1831, Grégoire XVI battra tous les records avec 41 cardinaux “dans son cœur” sur les 81 qu’il aura créés en à peine 15 ans de pontificat. 

L’usage très politique de Jean Paul II

Le polonais en fera un usage plus politique. Venu de l’Est, élu Pape en pleine guerre froide, il en fait la subtile marque de ses consistoires. Dès juin 1979, en créant ses tous premiers cardinaux, il fera du chinois Ignatius Kung Pin-mei un in pectore. Compte tenu de l’adversité de Pékin à l’égard de ce dernier, il ne sera révélé qu’en 1991 alors que la pratique veut que le bénéficiaire ne jouisse de son statut qu’une fois l’annonce faite. Élevés au cardinalat en 1998, l’ukrainien Marian Jaworski et le letton Jānis Pujats devront patienter trois ans avant de revêtir les barrettes pourpres en 2021. Et pour cause, leurs diocèses étaient aux portes du puissant Patriarcat orthodoxe de Moscou avec lequel Jean Paul II ne voulait pas se fâcher.

Subite désuétude ?

Cette vieille tradition n’est pas vraiment tombée en désuétude même si Benoit XVI et François s’en sont passés. Pour le premier, le cardinalat est une mission de témoignage de la foi au risque de sa vie comme l’indique la couleur pourpre, des ornements cardinalices, relative au sang versé. Le pontife allemand ne trouve pas pertinent d’en garder la nomination secrète. Quant à François, il n’en a sans doute pas eu l’opportunité, Pékin et le Saint-Siège ayant timidement pacifié leurs relations par un accord en 2018. Mais compte tenu des tensions qui resurgissent dans le monde depuis la guerre entre Moscou et Kiev, il n’est pas totalement écarté que des cardinaux in pectore refassent surface.

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