Le dicastère pour la Doctrine de la foi a répondu le 25 septembre à plusieurs dubia rédigées par le cardinal Dominik Duka, archevêque émérite de Prague, concernant la question épineuse de l’accès aux sacrements des personnes divorcées et remariées. Voici la réponse signée par le cardinal-préfet du dicastère, Victor Fernández, après consultation du pape François :
Réponse à une série de questions, proposées par Son Éminence le cardinal Dominik Duka, OP, concernant l’administration de l’Eucharistie aux couples divorcés vivant dans une nouvelle union.
Le 13 juillet 2023, ce département a reçu une demande de Son Éminence le Cardinal Dominik Duka, OP, archevêque émérite de Prague, au nom de la Conférence épiscopale tchèque, qui pose une série de questions concernant l’administration de l’Eucharistie aux personnes divorcées vivant dans une nouvelle union. Bien que certaines questions ne soient pas rédigées de manière suffisamment claire et qu’elles puissent donc laisser présager certaines imprécisions, ce dicastère entend y répondre afin de contribuer à lever les doutes qu’elles soulèvent.
Est-il possible qu’un diocèse faisant partie d’une union de la conférence épiscopale prenne des décisions de manière totalement autonome, en se référant aux faits cités dans les questions 2 et 3 ?
L’exhortation apostolique Amoris Laetitia, document du magistère pontifical ordinaire, à l’égard duquel tous sont appelés à offrir l’hommage de l’intelligence et de la volonté, affirme que “les prêtres ont le devoir d’accompagner [les divorcés-remariés] en les aidant à comprendre leur situation selon l’enseignement de l’Église et les orientations de l’évêque”. En ce sens, il est possible, et même souhaitable, que l’ordinaire d’un diocèse établisse certains critères qui, en accord avec l’enseignement de l’Église, peuvent aider les prêtres dans l’accompagnement et le discernement des personnes divorcées vivant une nouvelle union.
La réponse du pape François à la question de la section pastorale du diocèse de Buenos Aires, étant donné que le texte a été publié dans les Acta Apostolicae Sedis, peut-elle être considérée comme une affirmation du magistère ordinaire de l’Église ?Comme l’indique le rescrit accompagnant les deux documents sur les Acta Apostolicae Sedis, ceux-ci sont publiés “velut magisterium authenticum”, c’est-à-dire en tant que magistère authentique (enseignement).
S’agit-il d’une décision du magistère ordinaire de l’Église basée sur le document Amoris Laetitia ?
Comme le rappelle le Saint-Père dans ses lettres au délégué de la région pastorale de Buenos Aires, Amoris Laetitia est le fruit du travail et de la prière de toute l’Église, avec la médiation de deux synodes et du Pape. Ce document s’appuie sur le magistère des papes précédents, qui reconnaissaient déjà la possibilité pour les divorcés de nouvelles unions d’accéder à l’Eucharistie, à condition qu’ils assument “le devoir de vivre dans la continence complète, c’est-à-dire par l’abstinence des actes propres aux couples mariés”, comme le proposait Jean-Paul II, ou de “s’engager à vivre leur relation (…) comme des amis”, comme le proposait Benoît XVI. François maintient la proposition de continence complète pour les personnes divorcées et remariées dans une nouvelle union, mais admet qu’il peut y avoir des difficultés à la pratiquer et permet donc dans certains cas, après un discernement adéquat, l’administration du sacrement de réconciliation même s’il n’est pas possible d’être fidèle à la continence proposée par l’Église.
L’intention d’Amoris Laetitia est-elle d’institutionnaliser cette solution par le biais d’un permis ou d’une décision officielle pour les couples individuels ?
Le point 1 du document “Critères de base pour l’application du chapitre VIII d’Amoris Laetitia” stipule expressément : Il n’est pas opportun de parler de “permissions” pour accéder aux sacrements, mais plutôt d’un processus de discernement accompagné par un pasteur. Il s’agit d’un discernement ‘personnel et pastoral'” (AL, 300). Il s’agit donc d’un accompagnement pastoral comme exercice de la “via caritatis”, qui n’est rien d’autre qu’une invitation à suivre le chemin “de Jésus : de la miséricorde et de la réintégration”. Amoris Laetitia ouvre la possibilité d’accéder aux sacrements de la réconciliation et de l’Eucharistie lorsque, dans un cas particulier, il existe des limitations qui atténuent la responsabilité et la culpabilité. D’autre part, ce processus d’accompagnement ne s’arrête pas nécessairement aux sacrements, mais peut être orienté vers d’autres formes d’intégration à la vie de l’Église : une plus grande présence dans la communauté, la participation à des groupes de prière ou de réflexion, ou l’implication dans divers services ecclésiaux.
Qui doit évaluer la situation des couples en question, un confesseur, un curé local, un vicaire forain, un vicaire épiscopal ou un pénitencier ?
Il s’agit d’entamer un itinéraire d’accompagnement pastoral pour le discernement de chaque personne. Amoris Laetitia souligne que tous les prêtres ont la responsabilité d’accompagner les personnes intéressées sur le chemin du discernement. C’est le prêtre qui accueille la personne, l’écoute attentivement et lui montre le visage maternel de l’Église, en acceptant sa juste intention et son bon dessein de placer toute sa vie à la lumière de l’Évangile et de pratiquer la charité. Mais c’est chaque personne, individuellement, qui est appelée à se mettre devant Dieu et à lui exposer sa conscience, avec ses possibilités et ses limites. Cette conscience, accompagnée par un prêtre et éclairée par les orientations de l’Église, est appelée à se former pour évaluer et donner un jugement suffisant pour discerner la possibilité d’accéder aux sacrements.
Serait-il opportun qu’elles soient traitées par le tribunal ecclésiastique compétent ?
Dans les cas où il est possible d’établir une déclaration de nullité, le recours au tribunal ecclésiastique fera partie du processus de discernement. Le Saint-Père a voulu simplifier ces processus par le motu proprio Mitis Iudex. Le problème se pose dans les situations plus complexes où il n’est pas possible d’obtenir une déclaration de nullité. Dans ces cas, un processus de discernement peut également être possible, qui stimule ou renouvelle la rencontre personnelle avec Jésus-Christ, y compris dans les sacrements.
Peut-on appliquer ce principe aux deux parties d’un mariage civilement divorcé, ou distinguer le degré de la faute et procéder en conséquence ?
Saint Jean Paul II avait déjà déclaré que “le jugement de l’état de grâce n’appartient évidemment qu’à la personne concernée, puisqu’il s’agit d’un examen de conscience”. Il s’agit donc d’un processus de discernement individuel dans lequel “les divorcés-remariés doivent s’interroger : comment ont-ils agi à l’égard de leurs enfants lorsque l’union conjugale entrait en crise ; ont-ils fait ou non des tentatives de réconciliation ; que devient la partie abandonnée ; quelles sont les conséquences de la nouvelle relation sur le reste de la famille et sur la communauté des fidèles ; quel est l’exemple donné aux jeunes qui se préparent au mariage”. Une réflexion sincère peut renforcer la confiance dans la miséricorde de Dieu, qui n’est refusée à personne”.
Dans le cas de cette permission unique, faut-il comprendre que la vie conjugale (l’aspect sexuel) ne doit pas être mentionnée dans le sacrement de réconciliation ?
Même dans le sacrement du mariage, la vie sexuelle des époux fait l’objet d’un examen de conscience pour confirmer qu’elle est une véritable expression de l’amour et qu’elle aide à grandir dans l’amour. Tous les aspects de la vie doivent être placés devant Dieu.
Ne serait-il pas opportun que toute cette question soit mieux expliquée dans le texte de votre dicastère compétent ?Si l’on se réfère aux paroles du Saint-Père dans la lettre de réponse au délégué de la région pastorale de Buenos Aires, dans laquelle il est dit qu’il n’y a pas d’autres interprétations, il semble que la question soit suffisamment expliquée dans le document susmentionné.
Comment procéder pour établir l’unité interne, mais aussi pour éviter de perturber le magistère ordinaire de l’Église ?Il serait opportun que la conférence épiscopale se mette d’accord sur quelques critères minimaux, pour mettre en œuvre les propositions d’Amoris Laetitia, qui aident les prêtres dans les processus d’accompagnement et de discernement concernant l’accès possible aux sacrements de certains divorcés dans une nouvelle union, sans préjudice de l’autorité légitime que chaque évêque a dans son propre diocèse.
Pourquoi cette dubia ?
Proche de Benoît XVI, le cardinal Duka s’interroge ici sur l’interprétation de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia publiée en 2016 par le pape François. Il est écrit que l’accès aux sacrements est autorisé pour les divorcés-remariés « dans certains cas, après un discernement adéquat ». Le cardinal tchèque a également demandé des clarifications concernant la réponse envoyée en 2016 par le pape François à un responsable de son ancien diocèse de Buenos Aires après la publication par ce dernier d’un document établissant des normes pastorales afin d’accompagner le chemin de discernement demandé aux personnes divorcées et remariées. Ce texte, publié dans les Acta Apostolicae Sedis, fait partie du « magistère authentique » du Pape, insiste le préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi. Le pontife, souligne le cardinal argentin, ne produira pas de nouveau texte pour clarifier cette question qui suscite encore de nombreuses polémiques au sein de l’Église, comme semble le demander le cardinal Duka.
Quelle est la position du Pape ? Comme précisé dans cette lettre, les itinéraires proposés aux personnes divorcées puis remariées doivent être menés par le prêtre qui accueille la demande des personnes concernées, peu importe quelle position il occupe, souligne le préfet. Mais, insiste-t-il, ce sont en premier lieu ces dernières qui sont appelées à initier ce cheminement de conscience, les prêtres devant tous les accompagner.
Encourager une reconnaissance de nullitéLe préfet encourage les personnes divorcées et remariées, quand c’est possible, à obtenir une reconnaissance de nullité du précédent mariage, rappelant que le pape a simplifié ces procédures légales avec l’adoption du motu proprio Mitis iudex en 2015. Mais l’impossibilité d’obtenir la nullité ne signifie pas qu’un parcours de discernement pour renouveler la rencontre avec le Christ, « aussi par les sacrements », n’est pas envisageable, insiste le cardinal argentin. Le préfet encourage clairement les conférences épiscopales à établir des critères minimaux « pour mettre en œuvre Amoris Laetitia » sur des bases similaires à celles mises en place dans l’archidiocèse de Buenos Aires. Cependant, chaque évêque reste libre de leur implémentation dans son diocèse.