“Il y a un leader à Jérusalem”. Le commentaire posté en hébreu sur le réseau X (anciennement twitter) par un journaliste de l’influent quotidien national israélien Haaretz est éloquent. Sous son sobre commentaire se trouve l’article relatant la déclaration du cardinal Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, l’homme qui s’est proposé en échange des enfants israéliens retenus en otage par le Hamas dans la bande de Gaza.
Interpellé lundi dernier par un média lors d’une visioconférence, le jeune cardinal avait en effet répondu spontanément : “Si je suis prêt à un échange ? [Je ferai] n’importe quoi, si cela peut conduire à leur libération et au retour de ces enfants à la maison, sans aucun problème. Ma disponibilité est absolue”.
En quelques heures, la déclaration du patriarche a fait le tour du monde. “Ce n’était pas une sortie médiatique qu’il avait mûrie ou que son équipe de communication avait préparée”, confie Noga Tarnopolsky, une journaliste de nationalité israélienne notamment, qui côtoie le franciscain depuis une douzaine d’années. Elle reconnaît dans cette réponse le caractère “authentique” et “spontané” du cardinal italien. Une autre source vivant à Jérusalem abonde “Ce n’était pas préparé et ce n’était pas feint : ceux qui le connaissent savent bien que si on lui demande de mourir pour sauver tout le monde, alors il se sacrifie dans l’instant. Il n’y a pas l’ombre d’un doute”.
Son cardinalat est une marque de reconnaissance du Pape pour quelqu’un qui a accepté de faire le boulot que personne ne voulait faire.
À 58 ans, ce franciscain né à Bergame, au nord de l’Italie, se retrouve plongé au cœur d’une actualité tragique depuis que les terroristes du Hamas ont lancé une attaque sanglante le 7 octobre contre Israël. Tout juste créé cardinal par le pape François, il a dû rentrer en catastrophe à Jérusalem où il a trouvé “un pays effrayé”, a-t-il raconté aux médias du Vatican. Sur les épaules de cet homme rigoureux et travailleur repose aujourd’hui la voix du Saint-Siège dans une crise d’une ampleur inédite depuis la guerre du Kippour, en 1973. À la question de savoir si le pape enverrait un émissaire en Terre sainte comme il a pu le faire récemment pour l’Ukraine, un responsable de la Curie romaine répond d’emblée : « Il y a déjà le cardinal Pizzaballa ».
Il faut dire que l’homme qui a la confiance du Pape connaît parfaitement cette terre et sa complexité. Ce professeur d’hébreu biblique a été à la tête de la Custodie de Terre sainte de 2004 à 2016. Puis le pape François lui a confié les rênes du patriarcat latin de Jérusalem, une institution alors en pleine déroute financière. “Son cardinalat est une marque de reconnaissance du Pape pour quelqu’un qui a accepté de faire le boulot que personne ne voulait faire”, estime une source romaine, qui souligne les qualités de bon gestionnaire de l’Italien.
Une parole singulière et délicate
Dans le drame qui se joue actuellement en Terre sainte, Pierbattista Pizzaballa fait désormais face à des enjeux diplomatiques où il est question de vie et de mort. Sur cette terre où la haine entre Israéliens et Palestiniens atteint son paroxysme et les pulsions de vengeances des sommets, la moindre prise de parole du patriarche est susceptible de déclencher une avalanche de condamnations. Ainsi, des déclarations des patriarches et chefs des Églises chrétiennes de Jérusalem – signées notamment par le cardinal – ont provoqué l’ire de responsables israéliens, ces derniers accusant les chrétiens de ne pas nommer clairement les responsables de ce désastre.
“La réalité de la chrétienté en Terre sainte est si petite qu’elle ne peut apparaître désunie”, explique un bon connaisseur de la région, qui relève que ces chefs d’Église sont surtout des responsables arabes poussés par la douleur de leur peuple. Soucieux de préserver cet œcuménisme fragile, le cardinal Pizzaballa est poussé à mettre de l’eau dans son vin. Ce qui ne l’empêche pas d’afficher personnellement son malaise, déclarant par exemple à la presse qui l’interrogeait sur l’irritation des Israéliens face à la teneur des communiqués des responsables chrétiens: “Moi aussi, je suis irrité. Par respect pour les autres Églises, je ne veux rien ajouter”. Et d’assurer ensuite : “Pour être clair, le Hamas a commis des actes de barbarie en Israël”.
Cette communauté de Gaza, le cardinal Pizzaballa la porte tout spécialement dans son cœur.
Voix du Saint-Siège en Terre sainte, le cardinal Pizzaballa doit jouer les diplomates avec Israël, alors que les soldats de Tsahal pourraient envahir la bande de Gaza bombardée depuis des jours. Le patriarche, qui parle parfaitement hébreu, dispose d’une marge de manœuvre étroite. Le choc provoqué par l’attaque du Hamas a exacerbé le désir de vengeance et le nombre d’interlocuteurs capables d’entendre le message du Saint-Siège est limité. “Aujourd’hui il y a un grand vide au niveau des dirigeants. Pizzaballa est une des rares personnes à incarner ce que signifie vraiment ‘être responsable d’un peuple’”, constate Noga Tarnopolsky.
L’amour du patriarche pour les chrétiens de Gaza
La journaliste relève que son cardinalat “qui aurait dû être fêté par la communauté chrétienne” débute par “une tragédie”. Celui qui a revêtu la pourpre cardinalice le 30 septembre, ce rouge symbole du sang des martyrs, porte aujourd’hui le sang de milliers de civils tués ces derniers jours.
À Gaza, où se trouvent quelques centaines de chrétiens, au moins 16 d’entre eux sont morts jeudi soir dans l’effondrement d’un bâtiment dans l’enceinte de l’église orthodoxe grecque. Les chrétiens gazaouis n’ont pour la plupart pas suivi les ordres de l’armée israélienne de se réfugier au sud de l’enclave de 42 kilomètres sur 12 et dans laquelle vivent plus de 2 millions de Palestiniens. Cette communauté de Gaza, le cardinal Pizzaballa la porte tout spécialement dans son cœur, lui qui y vient d’ordinaire chaque année avant Noël pour une visite pastorale. Le proche du patriarche confie : “Je l’ai déjà entendu dire que c’était sa communauté préférée : la plus petite, la plus pauvre mais celle qui ne se plaint jamais”.