La piété a embelli les commencements de l’Église, jusqu’à nous laisser croire que tout, aux premiers temps, était parfait, que, grâce à la présence des apôtres, nos pères dans la foi vivaient en harmonie et qu’aucun des travers qui nous accablent ne leur était connu. En fait, cette vision idyllique sort de romans du XIXe siècle dont les auteurs, dans une volonté édifiante, ont peint en rose les débuts du christianisme. Relire les Actes des Apôtres ou les épîtres canoniques nous ramène à une réalité plus humaine et finalement rassurante car, si l’Évangile a survécu aux défauts de ses propagateurs et l’Église prospéré quand même, il faut que Dieu s’en soit mêlé.
Ainsi, Tite et Timothée que nous célébrons au voisinage de la conversion de saint Paul, dont ils furent les compagnons fidèles, sont devenus familiers de l’Apôtre après sa rupture, un peu vive, avec ses deux premiers assistants, Marc l’évangéliste qui souffrait du mal de mer au point de ne plus supporter les pérégrinations maritimes de son maître, et Barnabé, son cousin, agacé d’être écarté des responsabilités par Paul dont il avait favorisé l’intégration au sein des premières communautés chrétiennes. En tout cas, à la fin des années 40, Paul, privé de ses deux précieux assistants, s’en cherche d’autres.
L’infatigable Timothée
C’est à Lystres en Lycaonie, qu’il rencontre, sans doute en 47, Timothée dont la famille est apparentée à la sienne, ce qui explique qu’il reçoive l’hospitalité de Loys, grand-mère de Timothée, et d’Eunice, sa mère. Loys et Eunice sont juives, mais Eunice a épousé un païen et son fils, élevé dans l’amour des Écritures, n’a pas été circoncis, “oubli” que Paul veillera à réparer lors de son second passage à Lystres vers 50, époque où il ne s’est pas encore libéré de l’observation de la loi mosaïque. La bonne volonté avec laquelle Timothée se plie à cette exigence et la facilité avec laquelle il quitte famille et ville natale afin de suivre Paul dans ses périples augure d’un heureux caractère. Jeune et malléable, peut-être l’est-il même trop puisque Paul déplorera parfois un excès de timidité et de pusillanimité face aux innombrables périls dans lesquels il entraîne son disciple. L’admirable est que cet angoissé ne le lâche pas et se laisse emporter dans le maelström des voyages apostoliques de l’Apôtre devenu pour lui père de substitution. Cette fidélité lui vaut d’être qualifié “d’homme de Dieu” dans l’épître aux Philippiens.
C’est Timothée que Paul charge “de le précéder en Macédoine” afin d’y recueillir les aumônes nécessaires à la communauté de Jérusalem.
Ce qui frappe, c’est l’incessante activité de Timothée, courant d’un bout à l’autre du Bassin méditerranéen remplir les missions dont Paul le charge. En 52, il est à Philippes en Macédoine, puis à Thessalonique et Béré, ville où il reste avec un autre disciple, Silas, après que Paul en ait été chassé, afin d’affermir la communauté naissante. Puis il rejoint Paul à Athènes, retourne à Thessalonique, se rend à Corinthe. Aussi figure-t-il en bonne place en tête des épîtres de son maître qui le cite avec Silas comme son coopérateur indispensable. Au terme d’un séjour de deux ans à Éphèse, c’est Timothée que Paul charge “de le précéder en Macédoine” afin d’y recueillir les aumônes nécessaires à la communauté de Jérusalem. Puis il le renvoie à Corinthe où la situation est assez compliquée pour justifier cette demande de Paul à ses convertis : “Si Timothée vient vous voir, qu’il n’ait rien à craindre chez vous puisqu’il travaille comme moi à l’œuvre du Seigneur”, ce qui n’est guère rassurant concernant l’hospitalité corinthienne. On le rencontre ensuite à nouveau en Macédoine, en Achaïe, en Troade. On s’entend à penser que Timothée n’abandonne pas Paul lors de son arrestation à Jérusalem, et le suit lors de son transfert à Rome, partageant ses deux années de captivité. Du moins c’est ce que semble dire les épîtres à Philémon, aux Philippiens et aux Colossiens et toutes celles datables de la période 61-62.
Évêque et martyr
Les chemins de Timothée et Paul se séparent après la libération de celui-ci. Peut-être arrêté et battu pour avoir prêché l’Évangile, Timothée est alors envoyé par Paul à Éphèse dont il devient le premier évêque. C’est lors de cette séparation que Paul lui adresse les deux épîtres à Timothée, dont la première est une mise en lumière des devoirs du prêtre, la seconde le testament de l’apôtre de nouveau emprisonné et promis à la mort. La Tradition affirme que Timothée serait venu le visiter dans sa prison afin de lui faire ses adieux et recevoir son héritage spirituel.
La mort de Paul met un terme aux pérégrinations de son disciple qui ne quittera plus Éphèse, tentant de libérer les âmes de l’emprise de la déesse païenne Artémise, manquant parfois d’élan dans ce travail, si du moins l’on interprète correctement l’Apocalypse. Timothée a-t-il mérité les reproches de Jean ? L’on peut en douter à en juger par sa fin, dont le récit est tenu pour historiquement fiable. En effet, le 22 janvier 97, l’évêque est assommé à coups de massue durant une procession païenne dont il a troublé le déroulement et succombe à ses blessures. Pas si pusillanime que cela, finalement.
Tite, le coopérateur
C’est probablement à Iconium ou Lystre, lui aussi, que Tite fait la connaissance de Paul, à peu près à la même époque que Timothée, lors du premier passage de l’Apôtre en Lycaonie. On lui bâtira une biographie faisant de lui l’héritier d’une riche famille de l’aristocratie crétoise, converti par la lecture d’Isaïe et parti pour Jérusalem où il aurait rejoint le groupe des 72. Il n’y a sans doute rien à garder de tout cela, sinon que Tite, forme francisée du prénom romain Titus, appartient à une famille romanisée et riche, païenne, originaire de Crète, ou de Chypre. Converti par sa rencontre avec Paul, il se met à sa suite et l’accompagne à Antioche, Séleucie, Salamine de Chypre, Paphos , Pergé de Pamphilie et Antioche de Pidisie, se méritant cet éloge de l’Apôtre : “Tite, frère et coopérateur de mes travaux, brûlant de zèle pour le salut des âmes.” Paul l’emmène avec lui en Crète, ce qui attesterait les liens de Tite avec l’île, puis l’expédie, seul cette fois, en Dalmatie, région qui le revendique pour son premier évangélisateur.
En 51, Tite est avec Paul au concile de Jérusalem, puis l’accompagne lors de son séjour éphésien avant de s’embarquer pour Corinthe où la communauté se déchire. Que Tite, trompé par un apparent apaisement, doive y retourner, prouve que la situation sur place est difficile mais aussi qu’il possède la confiance de Paul. Dans l’épître à Tite, datable de 64, Paul l’appelle à le rejoindre à Nicopolis d’Épire. C’est l’occasion, puisque le but est d’instaurer des épiscopats locaux, notamment en Crète, d’exposer à Tite ce que doit être le bon évêque selon Paul. Conformément à la dernière mission confiée par son maître, Tite prend la direction de l’Église crétoise, fondant le siège archiépiscopal de Gortyne. Il y meurt, dans son lit semble-t-il, à la fin du Ier siècle, au bel âge de 94 ans. L’église bâtie sur sa tombe profanée par les Turcs, seule la tête de Tite est sauvée de ces destructions ; elle est vénérée aujourd’hui dans la basilique Saint-Marc de Venise.