Comme avec Claude Lantier, le peintre des Rougon-Macquart, il faut, pour apercevoir l’église Saint-Eustache, longer la rue de Rivoli et prendre la rue du Roule. “C’est une curieuse rencontre, ce bout d’église encadré sous cette avenue de fonte… Ceci tuera cela, le fer tuera la pierre, et les temps sont proches” considère le vieux romantique d’Émile Zola. Dans le quartier des Halles, entre la Bourse du Commerce et la rue Montmartre où se pressent les passants, c’est en levant haut la tête que le regard se pose sur l’immense édifice. Saint-Eustache surplombe, majestueuse, le Ier arrondissement de Paris et s’élève au-dessus des toits de la ville.
De la petite chapelle à la « Cathédrale des Halles »
C’était il y a 800 ans. Paris vient de voir achevées ses fortifications : la ville est alors divisée en huit quartiers qui relient l’Île de la Cité au palais du Louvre voulu par Philippe Auguste, roi de France, qui achève son règne en 1223. Au nord de la ville, sur le chemin qui mène du chantier de Notre-Dame à la colline de Montmartre, non loin des remparts qui protègent la cité, se dresse une petite chapelle dédiée à sainte Agnès. Devenue paroisse, elle prend le nom de Saint-Eustache en recevant les reliques du martyr romain translatées depuis l’ancienne abbaye royale de Saint-Denis. Très vite, l’église devient trop petite pour accueillir en son sein la foule des paroissiens du quartier. En 1532, François Ier pose la première pierre d’une église qu’il veut grandiose et qui s’érige au-dessus de l’ancienne chapelle qui en devient la crypte. L’église, par ses dimensions prodigieuses, égale presque Notre-Dame dont elle reprend les plans. La voûte de ce joyau du gothique flamboyant au style éclectique culmine à 33 mètres, dépassant de quelques centimètres celle de la cathédrale, sa cousine.
Il faut attendre un siècle pour qu’en 1637, Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, consacre l’édifice. Dans les siècles qui suivent, Saint-Eustache n’en finit pas de s’embellir, portant la signature des illustres qui l’ont parée de leurs chefs-d’œuvre pour lier son nom à l’Histoire de France. C’est sous sa voûte gothique que Molière et Richelieu sont baptisés, que Louis XIV reçoit le corps du Christ eucharistie pour la première fois et que sont célébrées les funérailles de La Fontaine. C’est ici, aussi, qu’est créé le Te Deum de Berlioz. En 1793, la Révolution qui hait Dieu et méprise la religion transforme Saint-Eustache en temple de l’Agriculture. Il faut attendre le XIXe siècle pour que l’église soit enfin restaurée, après de longues années de saccage et de profanations.
Saint-Eustache : un écrin, un musée et un trésor
Témoin silencieux des transformations du quartier, Saint-Eustache voit naître le pavillon Baltard et son architecture de fer, de fonte et de verre voulue par Napoléon. C’est là que se pressent bouchers, poissonniers et maraîchers dans ce qu’Émile Zola surnomme le “Ventre de Paris”, ancêtre de Rungis, que domine celle que l’écrivain appelle la “cathédrale des Halles”. Saint-Eustache devient alors la paroisse des charcutiers qui s’y réunissent une fois l’an pour une messe dédiée à saint Antoine, saint patron de la profession. Trouve-t-on, ailleurs en France ou dans le monde, un vitrail ainsi nommé, “Le Souvenir de la charcuterie française” ? Trésor insolite que ces reflets bigarrés que saucisses et cochons font jouer sur les piliers de l’édifice.
Saint-Eustache est un trésor ; un écrin, pour le Christ caché dans l’hostie du tabernacle et un musée. Ils sont nombreux, les pèlerins de l’art, à franchir ses portes pour venir admirer son orgue, le plus grand de France avec ses 8.000 tuyaux, ou les tableaux inestimables qui font l’Histoire de notre patrimoine. Là, les Pèlerins d’Emmaüs de Rubens ; ici, L’Adoration des bergers par Le Tintoret, le tombeau de Colbert et sa sublime Abondance au regard désolé et une Vierge à l’Enfant rayonnante de douceur sculptée par Pigalle. Citons encore Simon Voüet, dont le monumental Martyre de saint Eustache, unique vestige de son retable majeur, orne l’une des chapelles. S’y joignent de nombreuses créations contemporaines qui ancrent la maison de Dieu dans notre époque.
Un lieu où la ville contemple le Ciel
Située à deux pas de la plus grande gare souterraine du monde où circulent chaque jour plus de 1.500 trains, Saint-Eustache est un lieu de vie et de passage où se croisent inlassablement les touristes, les paroissiens et les jeunes venus de la banlieue, aux portes de Paris. Après l’incendie qui ravage Notre-Dame, c’est Saint-Eustache qui accueille dans son chœur en 2019 les grands-messes de Pâques et de Noël. De la petite chapelle à l’église monumentale et sa tour inachevée, Saint-Eustache est le symbole de cette Église en chemin, qui traverse les époques comme le pèlerin qui foule de ses pieds courageux et fatigués la route qui mène, par-delà les soucis du monde, à ce Dieu d’Amour et de beauté.