Vous êtes catholique, convaincu de surcroît, et vous pensez avoir choisi de l’être. Mais si vous étiez né à Islamabad de parents musulmans, ne seriez-vous pas un musulman tout autant convaincu ? Et si vous étiez anglican à Westminster, calviniste à Wittenberg, ne penseriez-vous pas également l’être par choix ? Nous avons du mal à admettre nos déterminismes, surtout en matière de convictions personnelles. Mais reconnaissons que les adorateurs de Baal ou d’Horus suivaient tout simplement le mouvement, alors pourquoi en serait-il autrement pour les chrétiens ? Voilà une objection souvent opposée à ceux qui témoignent de leur foi. Qu’en penser ?
Religion statique ou dynamique ?
Il est vrai qu’il existe une dimension sociale dans toute religion. La définition sociologique de la religion la présente comme un ensemble de rites et de dogmes fédérant une communauté. À ce titre, les communautés chrétiennes font des chrétiens comme les rois font des filles de rois et les paysans des fils de paysans. Et l’on ne choisit pas d’être fils de roi, de bourgeois ou de paysan.
On a tourné les yeux vers quelqu’un, et le feu a pris. Notre éducation nous porte à tourner les yeux vers le Christ, et un jour le feu prend au cœur.
Mais l’expérience intime du chrétien se retrouve très peu dans cette définition communément admise de la religion, que le philosophe Henri Bergson appelait religion statique (Les Deux Sources de la morale et de la religion). L’expérience intime du chrétien, que Bergson qualifie par opposition de dynamique, n’est pas celle d’une identité sociale. Cette expérience est celle d’une rencontre avec le visage de Dieu reconnu dans le Christ. Nous ne sommes pas les adeptes d’une religion que nous subirions inconsciemment par héritage, ou même que nous aurions choisie parmi d’autres parce que tout bien considéré, on y vit bien et on y pense intelligemment. Si d’ailleurs il fallait choisir sa religion parmi toutes les autres au grand supermarché des religions, ce serait chose impossible : qui pourrait les étudier intégralement, exhaustivement, et les pratiquer de façon comparée avant de se déterminer ? Une vie n’y suffirait pas !
L’expérience d’une rencontre
L’expérience chrétienne est, plus profondément, l’expérience de la foi, “qui est d’abord une adhésion personnelle de l’homme à Dieu” (Catéchisme de l’Église catholique, 150). Voilà pourquoi notre acte de foi ne dit pas : “Je crois à la religion catholique et à tous ses préceptes”, mais “je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, et en son Fils Jésus Christ notre Seigneur”. Il s’agit bien d’une rencontre, d’un élan fait d’amour, et de désir profond et libre — appelons cela la volonté. Et comme pour un coup de foudre, il y a une part qui se choisit et une part qui ne se choisit pas. On a tourné les yeux vers quelqu’un, et le feu a pris. Notre éducation nous porte à tourner les yeux vers le Christ, et un jour le feu prend au cœur. Ou pas. Pas encore. Mais un jour il arrive que l’on dise du fond de l’âme : “Je sais en qui j’ai mis ma foi” (2Tm, 1, 12).
C’est bien tout le paradoxe : la question du choix n’est pas une question qui habite le chrétien. Ce qui l’habite, c’est l’expérience de la liberté. On ne vit pas avec Jésus parce qu’on l’aurait choisi sur catalogue. On fait sa vie avec lui, du jour où on ne veut plus vivre sans lui. Avec lui et libre comme l’air.