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Rejoindre l’ordinaire de l’homme ordinaire

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Benoist de Sinety - publié le 04/02/24

Les chrétiens embourgeoisés peinent à rejoindre et à comprendre le quotidien et la détresse des hommes ordinaires. Pour le père Benoist de Sinety, curé-doyen de Lille, l’enjeu n’est pas de se rendre désirables, mais de regarder nos contemporains comme désirables à la lumière du Christ.

Les crises sporadiques qui secouent notre société, de plus en plus fréquentes et de plus en plus vives, sont-elles les signes avant-coureurs d’une secousse plus profonde et plus violente ? Certains observateurs le redoutent tandis que d’autres, de plus en plus bruyamment, l’appellent de leurs vœux. Les cris de détresse des agriculteurs l’attestent : tout se tient. La guerre en Ukraine, la résurgence du conflit israélo-palestinien, s’ajoutent aux inquiétudes écologiques et à un profond malaise lié à l’épidémie du Covid et ses conséquences psychologiques dont on est sans doute loin d’avoir compris les répercussions dans la vie quotidienne.

Le bonheur dans le rétroviseur

Au bout de la chaîne, devant l’inflation et un sentiment grandissant de précarité, englouti dans des torrents de communication politique et étouffé par un silence religieux qui renvoient chacun à sa propre solitude, l’homme ordinaire se découvre pauvre en moyens d’actions. Sur son budget, il ne peut agir que sur ses dépenses alimentaires et culturelles, les hausses exorbitantes de l’immobilier lui étant imposées. Le seul moyen est de réduire la qualité de ses repas et de se réfugier dans une culture « de masse » d’une pauvreté, pour ne pas dire d’une débilité, affligeante. Les bateleurs de télévision du samedi soir deviennent les compagnons de ses soirées et les réseaux sociaux bercent ses nuits. Devant ce constat, certains se désespèrent et s’imaginent que le bonheur surgira par hier, dans le rétroviseur. D’autres se régalent d’un succès construit sur l’agitation des peurs et les postures de salon. Quel que soit l’avenir, qu’il ne nous faut pas redouter mais contribuer à construire, il sera le réel dans lequel il nous faudra vivre.

Certains se désespèrent et s’imaginent que le bonheur surgira par hier, dans le rétroviseur. D’autres se régalent d’un succès construit sur l’agitation des peurs et les postures de salon. 

Rejoindre l’homme ordinaire

Dans un entre-deux guerres qui ressemblait par bien des aspects à notre temps actuel, la jeune Madeleine Delbrêl découvrit celui auquel elle pensait ne pas croire. Le départ inattendu du jeune homme qui lui semblait promis et qui revêtit l’habit dominicain, la plongea dans la solitude. Mais leur rencontre avait déclenché en elle une recherche intérieure qui l’amena en quelques mois à se convertir. « Notre foi devrait faire de nous les plus contemporains des hommes, » écrivait l’assistante sociale d’Ivry-sur-Seine, qui ne rechercha jamais les projecteurs ni ne se crut obligée de témoigner autrement que par une vie livrée à chacun. 

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Madeleine Delbrêl

Rejoindre l’ordinaire de l’homme ordinaire, tel est le défi lancé à une Église qui se retrouve de plus en plus circonscrite à une sociologie, en France, qui n’est pas ordinaire. La réalité ordinaire de notre société se retrouve de moins en moins présente dans celle de l’Église. C’est un fait, le catholicisme français ne s’est pas embourgeoisé, il est quasi-délimité à la seule bourgeoisie. Et il n’est pas simple pour des gens qui ne connaissent pas tout à fait l’ordinaire de la vie des gens ordinaires, de pouvoir le partager et le comprendre.

Rejoindre l’ordinaire de l’homme ordinaire, tel est le défi lancé à une Église qui se retrouve de plus en plus circonscrite à une sociologie, en France, qui n’est pas ordinaire.

Les regarder comme désirables

En écrivant ces lignes, je ne critique ni ne juge. Il y a simplement des faits, une réalité. Et les petits malins qui penseraient que le concile Vatican II est une fois encore la cause de cette faillite ferait bien d’apprendre l’histoire et s’apercevraient alors que dès la fin du XIXe siècle, l’affaire était, déjà, fort mal engagée. Le processus fut lent mais il est aujourd’hui à son terme. Que faisons-nous alors ? À l’arrêt de bus, dans la queue de la boulangerie, le passant, l’anonyme ne voit même plus le clocher près duquel il habite et sous lequel il n’est jamais entré. Et même pour les secteurs les plus traditionnels de notre société, les paysans, la plupart aujourd’hui, ignorent tout de l’Évangile. Et ce n’est pas de bénir des tracteurs qui y changera quelque chose !

Nous avons essayé à bien des reprises par nos évènements et nos rassemblements de montrer à nos contemporains combien nous étions désirables. En vain. Peut-être devons-nous tout simplement comprendre que le Christ nous appelle à nous tourner vers eux. Car ce sont eux qu’Il nous donne à regarder comme désirables. Oui, il nous faut désirer les rencontrer, les écouter, les connaître, en un mot, les aimer. Non pour leur apprendre nos rituels, mais pour présenter à leurs vies belles et souffrantes, la lumière fragile de ce salut qui se révèle par le nom de Jésus. Et nous réjouir par avance de ce qui alors adviendra, que nul ne peut prédire.

La prière de Madeleine

Madeleine Delbrêl priait ainsi :

« Ô Seigneur, je souhaite que nous tous qui sommes ici, nous puissions, au moins une fois dans notre vie, et peut-être plusieurs fois dans notre vie, annoncer si fort, si passionnément la Bonne Nouvelle de Dieu ; que nous L’annoncions si fort, et avec tant de bonté, que cet homme puisse en garder le souvenir, la nostalgie, et qu’un jour où nous ne serons plus là ; où personne ne le saura, cet homme s’adresse au Dieu possible, qu’il pressent ; au Dieu dont on lui a parlé, comme de quelqu’un de vivant et aimant ; que cet homme se tourne vers Dieu, qu’il s’adresse à Lui. Ce jour-là, pour cet homme, nous aurons fait le maximum, car nous l’aurons mis en contact volontaire avec Dieu. Il aura répondu par un acte élémentaire d’amour, à l’Amour de Dieu qui, Lui, l’aime toujours et indéfiniment, le Premier. Ainsi soit-il. »

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ÉgliseÉvangélisationMadeleine Delbrêl
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