Certaines figures nous sont familières sans pour autant les avoir jamais rencontrées. Celle de Mgr de Miollis (1753-1843) en est une. Son nom encore peu connu du grand public a pourtant inspiré l’un des personnages les plus attachants d’un monument de la littérature, Les Misérables. C’est à Mgr Charles-François Bienvenu Myriel que Victor Hugo a prêté les traits de Mgr de Miollis. Souvenez-vous : il s’agit de l’évêque de Digne qui hébergea Jean Valjean tout juste sorti du bagne. Lorsque Valjean lui vole son argenterie puis est repris par les forces de l’ordre, l’homme d’Église prétend qu’il s’agissait d’un don et va même jusqu’à lui offrir en plus des chandeliers. Agissant ainsi, il permet à Valjean de conserver sa liberté tout juste retrouvée. Ce geste de miséricorde enclenche la rédemption de celui-ci, qui se poursuit dans le reste de l’œuvre.
Mgr Charles-François-Melchior Bienvenu de Miollis a été évêque de Digne de 1805 à 1838. Alors que la France sort tout juste de la Révolution, il n’a cessé d’orienter son action vers les plus pauvres, les plus démunis tout en témoignant d’un incroyable zèle missionnaire. Votée en novembre 2023 par les évêques de France, l’ouverture du procès en béatification de Mgr de Miollis est désormais officielle depuis début mars. “L’évêque a reçu au début du mois du Vatican le nihil obstat indiquant que la phase diocésaine du procès en béatification de Mgr de Miollis est officiellement ouverte”, s’est réjoui auprès d’Aleteia Jean-Paul Saugeron, médecin cardiologue à la retraite et vice-postulateur de la cause en béatification de Mgr de Miollis. Entretien.
Aleteia : Où en est la cause en béatification de Mgr de Miollis ?
Jean-Paul Saugeron : Mgr Emmanuel Gobilliard, l’évêque de Dignes, a lancé le processus en béatification après avoir reçu l’approbation des évêques de France en novembre 2023. Il a fallu envoyer ensuite à Rome un courrier simple pour indiquer qui est la personne concernée par ce procès en béatification. Il a reçu il y a quelques jours, début mars, le nihil obstat de Rome confirmant que le procès en béatification est ouvert ! On peut donc dire que maintenant, depuis début mars, le procès est dans sa phase diocésaine. Le postulateur est le père Charles Honoré curé de Forcalquier, prêtre dans le diocèse depuis au moins 40 ans et qui s’est intéressé depuis le début de son sacerdoce s’est à Mgr de Miollis. Je suis pour ma part le vice-postulateur. Notre équipe sera également constitué d’un “promoteur de la foi”, un notaire ainsi que de deux théologiens et au moins trois historiens ou spécialiste en archivistique. Nous allons ensemble désormais étudier sa vie, ses vertus, ses œuvres, ses éventuels miracles etc. L’évêque nous a prévenu que cette phrase pourrait durer cinq ans !
Comment se fait-il que Mgr de Miollis ait inspiré à Victor Hugo la figure de Mgr Myriel dans Les Misérables ?
Victor Hugo ne l’a pas connu directement. Il ne donne d’ailleurs aucun indice sur ses sources. Mais l’influence de Mgr de Miollis a été historiquement confirmée. On sait ainsi que la sœur de l’évêque, Émilie d’Estienne d’Orves, était venue habiter à Paris. Son frère Gabriel, ancien préfet du Finistère sous le Premier empire a aussi passé sa retraite à Paris. Et il recevait dans son salon à Saint-Sulpice de nombreux écrivains et poètes… dont le tout jeune Victor Hugo ! Victor Hugo a ainsi entendu parler de Mgr de Miollis pour la première fois en 1818 alors qu’il n’avait que 16 ans. Il entend parler par son frère Gabriel, sa sœur Émilie mais aussi toutes celles et ceux qui avaient croisé sa route, de l’incroyable témoignage de charité qu’a été la vie de Mgr de Miollis ainsi que sa réputation de sainteté acquise de son vivant ! Il était déjà considéré comme saint. Son histoire a profondément touché Victor Hugo, elle l’a habitée pendant près de quarante ans. La deuxième source importante que nous avons est le livre du chanoine Louis-Jérôme Bondil, La Vie Et Les Vertus de Mgr Charles-François-Melchior-Bienvenu de Miollis qu’a lu Victor Hugo et dont il s’est largement inspiré pour bâtir la vie de son personnage, Mgr Myriel ! Victor Hugo s’est senti proche de l’évêque de Digne par le souci qu’il avait des petits, des indigents, des pauvres.
Qu’a fait Mgr de Miollis de si inspirant pour que Victor Hugo le prenne en modèle dans Les Misérables et que son procès en béatification soit aujourd’hui ouvert ?
Tous ses contemporains ont témoigné de sa charité inépuisable. Mgr Miollis avait un train de vie extrêmement simple. Ceci lui permettait de consacrer l’essentiel de ses revenus aux pauvres. Il faut savoir qu’à cette époque, après la Révolution, l’Église n’a plus rien. La seule ressource c’était le salaire du clergé et les évêques et archevêques avaient des émoluments à hauteur des hauts fonctionnaires d’État. Mgr de Miollis en consacra l’essentiel à l’édification de congrégations religieuses à vocation enseignante et aux pauvres. Et Dieu sait qu’il y avait des besoins ! Imaginez-vous qu’à l’époque le diocèse de Gap et Embrun n’existait pas. Le diocèse de Digne couvrait ainsi les basses et les hautes Alpes.
Mgr de Miollis avait cette foi des patriarches, cette foi d’Abraham. Tous ceux qui l’ont approché en ont été frappés.
Loin d’être dépassé par l’ampleur de la mission, Mgr de Miollis a gouverné sur son diocèse avec sagesse et charité. Faisant preuve pour lui-même de rusticité et de simplicité, l’évêque est le premier à ouvrir sa bourse quand il faut secourir les pauvres et les malades. À sa mort, on se rappelle encore l’aide qu’il a prodiguée aux victimes d’une épidémie de petite vérole, en 1828, ou, cinq ans plus tard, aux habitants du petit village d’Allos qui vient d’être ravagé par un incendie. Un jour, il donne cent francs à un malade qui, venu à Digne pour y suivre une cure, n’a plus assez d’argent pour payer le reste de ses soins. Une autre fois, alors qu’on reprend devant lui des paroissiens qui osent venir à sa rencontre vêtus de haillons, il répond : “Commencez par vêtir ces membres de Jésus Christ, la confession viendra ensuite.”
C’était donc d’abord un sacré exemple de charité…
Oui mais pas uniquement. Victor Hugo n’est pas entré dans la dimension de la foi car lui-même n’était pas baptisé. Mais des témoignages que l’on a de cette époque ressort la foi “surnaturelle” de Mgr de Miollis. Il avait cette foi des patriarches, cette foi d’Abraham. Tous ceux qui l’ont approché en ont été frappés. Le chanoine Bondil a ainsi écrit : “Il a toujours eu des choses invisibles autant voir plus de certitudes que s’il les avait vu de ses propres yeux”. Personne n’y résistait. Témoignage fort d’une époque au XIXe qui a proclamé la souveraineté de la raison individuelle. Le zèle apostolique de Mgr de Mollis l’a entraîné partout dans son diocèse. Sisteron, Saint-Bonnet, Manosque, Riez, Embrun… Il est malheureusement contraint en 1838, par la fatigue, les privations et le grand âge (il avait 84 ans) de remettre au Pape sa démission. Il déménage alors à Aix où il s’absorbe dans la prière, jusqu’au bout. Parlant de ses dernières heures, le chanoine Bondil déclara : “On ne s’aperçut qu’il avait cessé de vivre que lorsqu’il eut cessé de prier.” Des témoignages relatent que le 5 juillet 1843, lors du convoi funèbre de Mgr de Miollis, les fidèles se sont rassemblés pour le saluer une dernière fois. “On accourait des campagnes se prosterner sur le chemin par où il allait passer, et les ouvriers qui travaillaient à une trop grande distance de la route se mettaient à genoux sur quelque hauteur d’où ils pussent le voir. Dans les villes et les villages, les voitures marchaient à travers une double haie de gens agenouillés”, écrit encore le chanoine.
Est-il une figure dont le monde a besoin aujourd’hui ?
Mgr de Miollis n’était ni un théologien, ni un prédicateur, ni un mystique. C’était quelqu’un de très simple qui était très proche des réalités banales de la vie quotidienne et son héroïcité s’intégrait dans la vie banale, quotidienne. Sa charité, son humilité, son attention aux plus petits… Tout cela ramène à l’essence du message évangélique. Sa vie ouvre à chacun un chemin de sainteté ancré dans les petites choses du quotidien.
Pratique
Conférence de Jean-Paul Saugeron sur “Mgr de Miollis et Victor Hugo, le paradoxe Myriel”, lundi 18 mars à 20h à la paroisse Saint François de Sales 70, rue Jouffroy d’Abbans 75017 Paris.