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Il est parfois bien difficile de sortir du tombeau où nous nous réfugions, par peur de la réalité, entraînés par les ténèbres. Le Christ, au jour de sa Résurrection — celle à laquelle nous nous préparons durant tout le trajet cahotant du carême — a jailli de la tombe, sans témoin direct, mais dans un pas qu’Il nous invite à imiter. Certains peintres chrétiens ont su représenter ce que nul œil humain n’a pu contempler face à face, tel Piero della Francesca dont le Sauveur vainqueur de la mort pose lourdement et avec assurance un de ses pieds sur le rebord de la tombe qu’Il va quitter. Hans Memling a préféré une extraction légère, le moment où Jésus garde une jambe dans le caveau tandis que l’autre touche déjà la terre ingrate qui l’a rejeté trois jours auparavant. Tout est traité avec légèreté et délicatesse, comme si l’époustouflante réalité de la Résurrection n’était qu’un jeu d’enfants, ceux-là mêmes auxquels le Royaume est promis.
Emboîter le pas au pas de Jésus
Il faut emboîter le pas à ce geste divin car c’est la seule manière de nous extirper de nos grottes profondes, là où la réalité file entre nos doigts et où l’imagination nous entraîne à ne plus regarder que les détails, souvent douloureux et pesants, en oubliant la vue d’ensemble de notre existence faite de hauts et de bas, de succès et d’échecs, de grâces et de péchés. Nicolás Gómez Dávila note avec finesse : “Pour le contemplateur, la réalité ce ne sont pas la toile et les pigments mais le tableau” (Carnets d’un vaincu). Lorsque le ciel se couvre à l’extérieur, menaçant, il est bien tentant de se retirer dans les profondeurs en ressassant les pensées noires et les regrets tirés comme des boulets. Parfois tout est bouleversé brusquement, d’une seconde à l’autre, et le soleil fait place à l’obscurité. Le peintre Jean-Georges Cornélius confesse à une amie carmélite (Lettres à une carmélite) :
Je viens d’être mis à la porte du royaume de Dieu de la manière la plus brutale. Tant il est vrai que nous ne choisissons pas Dieu mais que c’est lui qui nous choisit. Il n’y a plus rien ; c’est la nuit parfaite. J’ai le sentiment que mon bonheur (car même la pire souffrance était un bonheur) est devenu lointain, appartient à un passé dont j’ai presque perdu le souvenir.
Rien ne se gagne sans combat
Dans le recoin de ce tombeau, alors que tout semble perdu, sans attrait, sans goût subsiste malgré tout une force qui permet de se lever, en flageolant. Cornélius avoue encore : “La nuit peut être très longue. J’y suis depuis des années. Mais si, dans cinq minutes, on me cherche pour mourir pour mon Seigneur, j’irai à toute vitesse en hurlant de joie.” Rouler la pierre, s’enfoncer dans le grand silence, se replier sur soi-même est évidemment tentant, afin d’échapper à encore plus de désillusion ou de souffrance. Cependant, la réalité nous aiguillonne et nous fait souvenir que rien ne se gagne sans combat. La résurrection n’est pas seulement pour les autres, et, pour atteindre celle qui ouvre la porte de l’éternité, encore faut-il faire effort pour mettre en œuvre les petites résurrections qui permettent de sortir quelques orteils du tombeau où nous nous réfugions. Georges Bernanos écrivait : “Un désespoir inflexible qui n’est peut-être que l’inflexible refus de désespérer. […] Autre chose est souffrir l’agonie du désespoir, autre chose le désespoir lui-même ” (Français, si vous saviez…). Se terrer est la solution des lâches ; refuser de s’exposer à la lumière est l’attitude de ceux qui préfèrent goûter la mort.
Secouer notre torpeur
Alors il faut agir comme le font les chats lorsqu’ils avancent prudemment sur un terrain inconnu : ils tendent délicatement une patte avec laquelle ils vérifient la solidité du sol avant de s’engager plus confiants. Ils sont semblables au Christ sortant de son tombeau et retournant momentanément dans le monde si cruel et si faible. Bernanos secouait ainsi la torpeur de son ami Yves de Colleville en 1908 (Lettres retrouvées) :
Ne cède pas à l’attrait du divin vertige… N’adore point tes chères douleurs ! Ne te complais plus dans l’espoir d’un sommeil de brute. L’inaction pour toi est pire que la mort. Emploie le temps qui te reste à vivre à tirer les autres du gouffre où tu t’es jeté. N’aie point l’orgueil de ta peine, par-dessus tout.
Maintenir intactes les causes de notre douleur est souvent un alibi pour se convaincre ainsi que nous avons le droit de nous révolter contre elle et contre le reste de l’univers. Un désastre personnel sert à purifier, tout comme d’ailleurs les désastres des sociétés. Se retirer dans la peur, tout au fond du caveau, et y entretenir l’amertume, le désir de vengeance, la violence ne peut que condamner à s’enfoncer encore plus profondément dans la nuit qui, ici, n’est point mystique mais est modelée par notre propre volonté en déroute et accrochée à son erreur. Répéter, à la suite de Baudelaire, “Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille” (Les Fleurs du mal, “Recueillement”), peut aider à ne pas demeurer recroquevillé en jouissant de son mal, bien réel mais pas irrémédiable.
Le premier pas franchi
S’aventurer hors du tombeau, recevoir en plein visage les sensations oubliées — pas toujours agréables mais incontournables — est un pas de géant alors qu’il suffit de poser un pied, sans précipitation, avant d’en effectuer d’autres qui deviendront de plus en plus aisés et qui nous éloigneront de la source de notre tourment. Lorsque saint Ignace de Loyola eut vraiment vaincu tous ses faux désirs de perfection encore attachés à l’orgueil, il quitta enfin la grotte de Manrèse où il s’était retiré pour ne vivre que de pénitence et d’ascèse extrêmes. Le premier pas franchi, cela le conduisit à œuvrer sans compter pour la réforme spirituelle de l’Église et la gloire de Dieu. Sinon, il se serait perdu en se rongeant les sangs et en essayant d’atteindre par lui-même un état de perfection utopique. Se défendre contre tous les esprits mauvais qui essaient de nous convaincre que tout est mort, voilà une priorité dans une société et un pays qui ne cessent de repousser les limites de l’intolérable en matière de respect de la vie humaine.
Suivre le Christ en dehors du tombeau est souvent l’effort de toute une vie, avec bien des marches arrière, bien des échecs. Passer une première jambe en dehors du sépulcre doit s’opérer avec enthousiasme et abandon, avec une humilité véritable qui met à bas toutes nos prétentions personnelles. Georges Bernanos, toujours lui, invitait ainsi un de ses correspondants (Correspondance 1934-1948, “Lettre à Jean Morer”, 1948) :
Le monde regorge d’humilité, sous ses airs d’orgueil, mais d’une humilité pervertie, dégradée, qui n’est plus qu’une forme de la lâcheté d’esprit et de cœur. Nous sommes bas et non humbles. Il faut que le monde refasse de la fierté comme un être épuisé refait des globules rouges ou des vitamines. La charité doit tomber d’assez haut, si nous voulons qu’elle soit efficace. Quelle chrétienté rampante !
Que cette juste fierté nous aide à sortir de nos ornières.