“Que faites-vous ? Priez, priez beaucoup ! Les Saints Cœurs de Jésus et de Marie ont sur vous des desseins de miséricorde ; offrez sans cesse au Très Haut des prières et des sacrifices. […]” Tel est le reproche qu’adresse à trois enfants qu’il surprend en train de jouer au lieu de prier, un jour de l’été 1916, l’ange du Portugal, venu les préparer à la mission dont Notre-Dame les chargera quelques mois plus tard. Peut-on exiger d’enfants dont l’aînée n’a pas 10 ans de prier sans cesse et offrir des sacrifices ? Oui, si le Ciel a sur eux des desseins de miséricorde qui dépassent notre entendement.
Une sorte d’effroi
À 8 ans — il est né le 11 juin 1908 —, le petit Francisco Marto n’a, évidemment, de prime abord, aucune volonté de renoncer à ses innocents plaisirs, chanter et jouer du fifre, cette petite flûte traversière, et cela se comprend. Reste que les apparitions de l’ange ont sur lui, comme sur sa sœur Jacinta et sa cousine Lucia, un effet si considérable qu’il n’a bientôt plus aucune envie de revenir à ses distractions ordinaires. Une sorte d’effroi a saisi les trois jeunes bergers, avec la révélation du monde invisible qu’ils touchent soudain et les enjeux de salut et de perdition qui l’accompagnent, auxquels les adultes tentent de ne pas penser…
Quand il se consumera en prières incessantes, Francisco ne songera plus à ses intérêts mais agira porté par un sentiment qui le dépasse : l’amour de Dieu.
Dans quelques mois, le 13 mai 1917, lors de sa première apparition de la Cova de Iria, Notre-Dame promettra le paradis à Francisco, à condition qu’il “récite beaucoup de chapelets”, ce à quoi il s’engagera. Reste que cette promesse, pour sincère qu’elle soit, relève de la crainte de Dieu et de ses châtiments. D’ici peu, il n’en ira plus de même et, quand il se consumera en prières incessantes, Francisco ne songera plus à ses intérêts mais agira porté par un sentiment qui le dépasse : l’amour de Dieu.
En feu dans cette lumière de Dieu
Que s’est-il passé pour que cet enfant ordinaire franchisse d’un bond toutes les étapes de la vie mystique et s’élève au plus haut niveau de la contemplation ? Lors de la seconde apparition à Fatima, le 13 juin, Notre-Dame a permis que les trois enfants se “voient en Dieu” et puissent contempler un bref instant la Sainte Trinité. Si les deux filles, surtout Jacinta, seront infiniment plus marquées, le mois suivant, par l’effroyable vision de l’enfer et le sort des pécheurs qui s’y précipitent, Francisco, lui, ne va jamais se remettre de cette vision trinitaire. Comme il l’exprimera, avec des mots qui ne sont pas ceux d’un enfant : “Nous étions comme en feu dans cette lumière qui est Dieu et nous ne brûlions pas. Il est si beau, si bon que nous ne pouvons le dire ! Mais quelle peine qu’Il soit si triste ! Ah, si je pouvais le consoler.”
Ainsi ce petit analphabète a-t-il su en même temps, dans la limite de notre compréhension humaine, ce qu’est Dieu, dans Sa grandeur, Sa beauté, Sa perfection, et eu l’incroyable révélation que le Tout-Puissant se désole de voir ses créatures, tant aimées qu’Il a livré pour elles son Fils unique, se détourner de son amour et sa miséricorde pour courir obstinément à leur perte. Face au Christ de Gethsémani dont les disciples n’ont pu veiller une heure avec lui, Francisco est saisi d’une compassion agissante, démesurée. Dès lors, il ne vivra que pour consoler son Seigneur, tenter d’apaiser cette tristesse qui lui a brisé le cœur.
“Je pense à Dieu qui est si triste”
Jacinta, sa sœur, se découvrira une vocation réparatrice et expiatrice, acceptant des souffrances dépassant l’entendement pour sauver des pécheurs ; Francisco, lui, sera un consolateur et rien d’autre ne comptera plus à ses yeux. À Lucia, qui lui demande : “Qu’est-ce que tu aimes le mieux ? Consoler Notre-Seigneur ou convertir les pécheurs pour que moins d’âmes tombent en enfer ?”, il réplique : “Consoler Notre-Seigneur. N’as-tu pas remarqué combien Notre-Dame est devenue triste quand Elle a dit qu’il ne fallait plus offenser Notre-Seigneur qui était déjà trop offensé ? Je voudrais consoler Notre-Seigneur et convertir les pécheurs pour qu’ils ne l’offensent plus.” Quand les adultes s’étonnent du temps qu’il passe en prière à l’église, devant le tabernacle, il explique : “Je pense à Dieu qui est si triste à cause de tant de péchés. Ah, si j’étais capable de lui faire plaisir !”
Pour consoler Jésus
Averti par la Vierge que sa sœur et lui iront bientôt la rejoindre au Ciel, leur seule ambition, Francisco se prépare à cette mort, dont il sait qu’elle sera douloureuse mais que “Dieu sera son réconfort” dans l’épreuve. Quand, frappé par la grippe espagnole, il doit, fin décembre 1918, s’aliter pour ne plus se relever, son seul regret est de ne plus pouvoir se rendre à son rendez-vous quotidien avec “Jésus caché”, suppliant Lucia d’y aller pour lui. Jamais, même à l’agonie, torturé par des migraines et une fièvre incessantes, il ne retranchera rien de ses prières et ses pénitences, refusant de retirer son cilice, car c’est “pour consoler Notre-Seigneur, pour Jésus, pour Notre-Dame, les pécheurs et le Pape”. Il rend l’âme le 4 avril, après avoir reçu l’Eucharistie. Ses derniers mots à sa mère seront : “Oh, Maman, est-ce que tu vois cette belle lumière près de la porte ?”