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Que faire devant la sécularisation ? La réponse des émérites

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Corinne SIMON/CIRIC

Jean Duchesne - publié le 19/03/22

Quelle réponse à la sécularisation ? Les livres de trois évêques à la retraite conjuguent la lucidité sur la situation de l’Église et le discernement de ses ressources pour l’avenir.

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L’invasion de l’Ukraine remplace maintenant la pandémie comme menace obsessive, au point que l’enjeu des prochaines élections en France semble être seulement de savoir qui sera le battu du second tour. Mais ce n’en est pas fini pour autant de crises plus longues. Ce ne sont pas d’ailleurs pas des crises à proprement parler, puisqu’il ne s’agit pas de moments décisifs, mais d’instabilités et d’épreuves qui durent. Il y a le dérèglement climatique et la transition énergétique, mais aussi les équivoques sur les “valeurs” et donc la situation des religions et en particulier de l’Église en Occident. Le scandale des abus sexuels ne fait plus les gros titres, mais s’ajoute à la sécularisation, tandis que le synode sur la synodalité, les tensions autour des rites liturgiques ou l’attente du prochain archevêque de Paris paraissent des affaires internes pour initiés.

Liberté d’expression

Dans ce contexte, les prises de position se multiplient, portées voire suscitées par la facilité de l’information. Les voix qui ne sont pas bientôt dissoutes dans le flux perpétuel de l’actualité sont celles qui, sans entrer dans la mêlée, prennent un peu de recul et de hauteur. Le médium n’est alors pas audio-visuel ni journalistique, mais le livre, qui introduit dans la réflexion par-delà les réactions immédiates aux événements. Et parmi les auteurs — du moins sur le sujet de la place et du rôle de la foi dans la société — on trouve des évêques émérites. Même s’ils n’ont plus la charge d’un diocèse au jour le jour, ils restent au service de l’Église et de leurs frères. Et cet attachement plus large dilate en quelque sorte leur liberté de pensée et d’expression, pour peu que l’âge le leur permette et qu’ils aient quelque talent d’analyse et d’écriture.

On peut, dans ce registre et sans prétendre être exhaustif, citer trois exemples, par ordre chronologique des ouvrages publiés. D’abord Croire, mais en quoi quand Dieu ne dit plus rien ? (Éditions de l’Atelier, 2019) de Mgr Albert Rouet, qui a été évêque auxiliaire de Paris, puis archevêque de Poitiers. Ensuite Le Salut de l’Église est dans sa propre conversion (Salvator, 2021) de Mgr Joseph Doré, ancien doyen de la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris, puis archevêque de Strasbourg. Enfin Tout ce que j’apprends. Confessions croisées d’un chrétien et d’un citoyen (Éditions du Cerf, 2022) de Mgr Claude Dagens, normalien, agrégé, lui aussi autrefois doyen d’une Faculté de théologie (à Toulouse), évêque d’Angoulême pendant près d’un quart de siècle et membre de l’Académie française.

Dans un monde qui change

Aucun de ces trois-là n’en est ici à un coup d’essai. Mgr Rouet et Mgr Dagens ont l’un et l’autre publié une bonne trentaine d’ouvrages. Mgr Doré en a signé seul un peu moins, mais a dirigé la grande collection de christologie “Jésus et Jésus-Christ” chez Desclée-Mame (plus de cent titres parus) et anime toujours la prestigieuse série “La grâce d’une cathédrale” aux éditions La Nuée bleue. Chacun a bien sûr son histoire, ses références et outils conceptuels, son ton et son style, ses accents, et s’engage là de façon personnelle, sans craindre de dire “je”, en vertu non pas de son rang dans l’Église, mais de ce qu’il a vécu, éprouve toujours et ne cesse de ressentir comme stimulant au fond de lui-même. De nettes convergences apparaissent néanmoins.

La première est le constat du fait massif de la sécularisation, mais comme un phénomène moins simple et moins négatif qu’on l’a estimé au XXe siècle. L’effondrement de la pratique religieuse et la marginalisation socioculturelle de l’Église ne signifient pas que diminueraient et seraient même en passe de disparaître les besoins religieux auxquels répondent les grandes traditions cultuelles et spirituelles en général, et le christianisme en particulier. C’était l’hypothèse d’idéologies qui ont fait long feu. La réalité est que le monde a changé — comme il l’a d’ailleurs toujours fait — et qu’il demeure le lieu où, moins paradoxalement qu’il ne semble de loin, la foi doit, pour être vraiment intériorisée, s’extérioriser, c’est-à-dire être annoncée et mise en pratique. Cette perception a deux conséquences majeures.

S’ouvrir au Christ, aux autres et à l’histoire

D’une part, il est vain — et il serait même d’une fidélité douteuse — de rêver d’une “reconquête” institutionnelle (le monde ne reviendra pas en arrière), et en attendant de se retrancher dans des citadelles (liturgiques, théologiques, culturelles) rebelles à tout renouvellement. Il ne s’agit pas de s’ouvrir au seul présent, qui est assurément loin de constituer une norme, ni aux incertitudes de l’avenir, mais de prendre en compte l’histoire longue avec sa fécondité et ses reniements (depuis les origines bibliques et en passant par l’avènement et la remise en cause de la “chrétienté” ), sans s’enfermer dans un passé relativement récent, idéalisé et soi-disant immuable. 

D’autre part, la situation précaire où se débat aujourd’hui l’Église en Occident n’est pas à considérer comme un échec ou une punition (en cherchant des coupables — par exemple le cléricalisme). Il convient d’y voir plutôt une chance ou une opportunité (selon le vocabulaire sécularisé), ou encore (et mieux, sans incompatibilité et rien que pour tirer parti du patrimoine chrétien) une grâce. Ceci veut dire qu’il est illusoire de tout miser sur des réformes structurelles ou “systémiques”, et que quiconque se veut chrétien doit prendre ses responsabilités. Ce mot n’implique aucune prise de pouvoir, mais d’abord une réponse personnelle à l’appel du Christ, en partageant son regard sur ceux dont il se rend proche le premier. Et cela n’est pas à concevoir a priori avant d’être mis en œuvre, mais à vivre au quotidien sans se contempler dans le miroir ni exiger en prompt retour des résultats palpables.

“Nous sommes dans les commencements de l’ère chrétienne”

Cette trop rapide synthèse ne rend évidemment pas justice à trois livres et trois auteurs, à leurs analyses bien plus fines, à leur suggestions beaucoup plus précises ou concrètes et aux aperçus, intuitions et développements propres à chacun. On ne peut qu’inviter à se plonger dans ces pages parfois denses en promettant que ce ne sera pas du temps perdu. On n’est d’ailleurs pas forcé de tout lire d’un seul coup : rien qu’en parcourant, on trouvera aisément des passages qui débouchent l’horizon.

Et à qui resterait un peu perdu et inquiet, on peut signaler un texte (qui n’a pas pris une ride) d’un autre évêque, et même cardinal, lui aussi académicien, dont l’éméritat ne dura pas longtemps : Mgr Jean-Marie Lustiger, étrangement oublié dans les trois ouvrages cités, alors qu’il a posé les mêmes questions et les a traitées non seulement en paroles, mais encore en actes, à travers maintes initiatives qui ont dynamisé l’Église à la fin du XXe siècle : formation des laïcs et du clergé, médias (dont Radio Notre-Dame et KTO), un synode diocésain de 1990 à 1994, les JMJ de 1997, le Collège des Bernardins, “retrouvailles” avec le judaïsme, etc. Dans une conférence prononcée en 1989 à l’Université d’Augsbourg en Bavière, où il recevait un doctorat honoris causa, le leitmotiv était : “Nous sommes dans les commencements de l’ère chrétienne.” Sous le titre “La nouveauté du Christ et la postmodernité”, ce texte a été repris à la fin de Dieu merci, les droits de l’homme, publié en 1990 et réédité au Cerf en 2011.

Pratique :

Mgr Albert Rouet, Croire, mais en quoi quand Dieu ne dit plus rien ? (Éditions de l’Atelier, 2019)
Mgr Joseph Doré, Le Salut de l’Église est dans sa propre conversion (Salvator, 2021)
Mgr Claude Dagens, Tout ce que j’apprends. Confessions croisées d’un chrétien et d’un citoyen (Éditions du Cerf, 2022)

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