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“Laïcs et prêtres doivent retrouver le sens profond de la communion”

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Corinne SIMON/CIRIC

Prière pour les prêtres, église Saint-Sulpice (Paris).

Jacques Habert - publié le 02/09/22

Mgr Jacques Habert conclut notre série sur l’aide aux prêtres de nos paroisses en répondant aux questions d’Alexandra Maclennan. Pour l’évêque du diocèse de Bayeux-Lisieux, le modèle de nos paroisses a totalement changé : les prêtres et les laïcs doivent marcher ensemble au service de la mission en évoluant dans leur répartition des tâches, mais chacun dans sa vocation (6/6).

Alexandra Maclennan : Depuis six mois, Aleteia présente à ses lecteurs différentes facettes possibles de l’engagement des laïcs dans leurs paroisses au service de leurs prêtres. Comment servir l’unité de la paroisse autour d’eux, comment cultiver l’amitié, les dégager de ce que d’autres devraient faire à leur place, leur offrir de la tranquillité, comment discerner sa mission paroissiale…  Qu’avons-nous oublié ?
Mgr Jacques Habert : Je suis heureux de constater que vous avez abordé ce thème. Il est d’actualité même s’il faut l’élargir à toute l’Église. Nous devons tous prendre soin mutuellement les uns des autres. La fragilité de notre vie ecclésiale l’impose. Dans vos chroniques, vous avez soulevé des questions essentielles. Sur les cinq aspects que vous avez déclinés, en effet, il faut promouvoir la bienveillance, travailler la communion, l’unité, que nous soyons dans des relations fraternelles et amicales. Quant à décharger les prêtres de certaines choses matérielles pour les soulager, ce peut être utile. Mais il est bon aussi parfois qu’ils puissent les assumer si cela les réjouit, si cela les replonge dans le réel ; cela peut contribuer à leur équilibre. Une des questions est celle de l’hygiène de vie de certains prêtres. Saint Paul nous explique que toute personne est composée d’un esprit, d’une âme et d’un corps. Il faut que les prêtres puissent honorer toutes ces dimensions. Les paroissiens peuvent les y aider. Laissons aux prêtres le temps de la prière et du travail, laissons-leur aussi le temps de la détente et de la gratuité. C’est une vigilance qui peut être portée par la communauté. 

Le prêtre n’est pas sur un nuage au-dessus de ses paroissiens, mais au milieu de leur vie. Quel est l’équilibre à trouver entre la place du prêtre au cœur de nos vies, et le temps ainsi que l’espace dont il a besoin pour se préparer spirituellement à sa mission ?
Le prêtre est un homme consacré au Seigneur et à la mission : comme tout chrétien, il vit dans le monde. Il peut déléguer certaines dimensions matérielles de sa mission, et de ce fait avoir le sentiment d’être complètement immergés dans l’essentiel. Attention ici à la tentation du “hors sol” parce que la mission est au service des gens dans leur vie concrète. Il ne peut pas ne pas en éprouver lui-même certaines dimensions. Les prêtres ne sont pas les seuls à être complètement débordés. Lorsqu’on est mère de famille, qu’on a des enfants qui sont en difficulté, ou qu’on a un travail très prenant, on a des contraintes très importantes que le prêtre doit percevoir pour ne pas penser qu’il est le seul à être donné. La démarche synodale peut aider à cette prise de conscience. Il faut nous remettre tous ensemble devant la mission, chacun selon son état de vie particulier. 

Un prêtre a comme tout le monde (comme les évêques !) des défauts, des limites, des fragilités, mais si on l’accueille avec bienveillance, et si c’est réciproque, tout sera simplifié.

Vous avez été prêtre de paroisse pendant vingt ans, vous êtes évêque depuis douze ans. D’après votre expérience, de quoi les prêtres ont-ils le plus besoin ?
L’aspect de la bienveillance est très important. Un prêtre a comme tout le monde (comme les évêques !) des défauts, des limites, des fragilités, mais si on l’accueille avec bienveillance, et si c’est réciproque, tout sera simplifié. De même le prêtre se doit d’accueillir sa paroisse avec bienveillance, avec les limites et les faiblesses qu’elle a aussi. La bienveillance n’est pas simplement une disposition psychologique ; c’est un désir, c’est un fruit du Saint Esprit. Pour aider un prêtre il faut lui demander ce pourquoi il a été ordonné, c’est-à-dire faire grandir en chacun la vie divine et se mettre au service de communautés vivantes. Lorsqu’on participe à la vitalité de la communauté on aide puissamment les prêtres. Beaucoup de prêtres sont fatigués car leur vie est trop dispersée et parfois les activités s’enchaînent de façon décousue. 

Que peuvent faire les fidèles d’une paroisse pour cultiver et approfondir cette bienveillance ?
Je pense qu’il faut, pour le prêtre et pour les paroissiens, ne pas trop avoir à l’esprit ce que pourrait être la paroisse idéale, parce qu’on est toujours à la recherche de ce qu’on ne fait pas assez bien, de ce qu’on ne fait pas du tout, de ce qui ne réussit pas. Ainsi donc, si on se donne un modèle de ce qu’il faut faire et qu’on ne réussit pas, on se met en situation d’échec, et tout le monde est perdant, les paroissiens comme le prêtre. En revanche, si on se remet devant le réel, avec humilité et espérance, alors on est une communauté, avec des forces, des capacités, et on ne se met pas là une pression inutile. Souvent, nous nous mettons une pression excessive. Bien sûr il faut se donner de la peine, mais je crois qu’on se met dans un système où on est déçu parce qu’on n’arrive pas à faire. Le problème n’est pas d’abord d’arriver à faire quelque chose ou pas. L’essentiel est de se mettre à l’écoute du Seigneur et lui demander : “Que veux-tu que je fasse pour toi ?” De plus, aujourd’hui dans les paroisses, on est dans une grande fragilité, et donc si on se compare à ce qu’on faisait il y a dix ou vingt ans, on risque de sombrer dans le découragement. 

Ne confondons pas efficacité ou réussite et fécondité. Ce qui fait la gloire de mon Père, dit Jésus, c’est que vous portiez beaucoup de fruits. Ces fruits peuvent germer dans un contexte de pauvreté. 

Le modèle a-t-il donc complètement changé ? 
Oui, nos forces se sont beaucoup amoindries depuis vingt ans. Je suis prêtre depuis trente ans, je le vois bien. Quand on considère le taux de pratiquants, le taux de mariages, de baptêmes, de communions, les chiffres sont à la baisse, et c’est pour cela que certains prêtres ne vont pas bien : ils se culpabilisent, et il en est de même pour les évêques. Si on entre dans la comparaison et si on s’en tient aux chiffres, on est perdu. Ne confondons pas efficacité ou réussite et fécondité. Ce qui fait la gloire de mon Père, dit Jésus, c’est que vous portiez beaucoup de fruits. Ces fruits peuvent germer dans un contexte de pauvreté. 

Vous nous ramenez à l’être (la bienveillance, l’unité, la fraternité), mais il y a le faire, et depuis Marthe et Marie (Lc 10, 38-42), on est à la recherche de cet équilibre. Du côté du « faire », que pouvons-nous améliorer ?
Je crois qu’il faut revenir aux fondamentaux de ce qu’est la vie chrétienne, pour les fidèles comme pour les prêtres. Nous avons connu une Église très riche où il y avait des mouvements, un grand dynamisme et tout cela était bien. Heureuse Église qui pouvait avoir des mouvements de jeunes, mais aussi, grâce à l’Action catholique, une présence dans toutes les couches sociales, pour toutes les sensibilités. Mais on ne peut plus, alors revenons à ce qu’est être chrétien : espérer, croire, à travers des choses qui seront plus simples, moins élaborées, mais qui nous mettront devant l’essentiel et nous réjouiront. J’ai présidé au mois de juillet le Grand Pardon à Sainte Anne d’Auray et je voyais des familles qui étaient là. Je me disais : ils sont beaucoup moins nombreux, ils sont 10.000 alors qu’avant ils étaient 20.000. Mais ils étaient heureux d’être là. Nous avons prié, chanté, beaucoup de personnes se sont confessées. Le climat était fraternel. Une paroisse qui organise des pèlerinages, qui organise des temps de prière, qui fait des tables ouvertes pour les personnes isolées, ce sont des choses très simples mais qui nous remettent devant ce qu’on doit faire et être. Faisons-le simplement, joyeusement et dans l’espérance. Ce sera évangélisateur. 

Ce qui nous bloque aujourd’hui, c’est que le nombre de prêtres diminuant tellement, le modèle du curé avec “son peuple” bien circonscrit est amené à disparaître.

L’actualité récente du suicide d’un prêtre a ébranlé de nombreux catholiques : notre aide en tant que fidèle peut-elle d’être d’une quelconque utilité face à l’ampleur d’un tel malaise ?
Ce sont des situations particulières et Dieu merci tout à fait exceptionnelles. Mais il faut aussi dans l’Église qu’on arrête de se critiquer les uns les autres. Dès qu’ils arrivent quelque part, les prêtres sont étiquetés “trop tradis” ou “pas assez tradis”. C’est terrible, et je pense que c’est assez nouveau. Il y a vingt ou trente ans, cette polarisation était moins marquée. Est-ce qu’une Église ainsi divisée peut tenir très longtemps ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, si on n’a pas le profil du prêtre avec lequel on s’entendra bien, on part, on va ailleurs. On n’est plus dans l’accueil du pasteur que le Seigneur nous envoie. Cela va dans les deux sens d’ailleurs : le prêtre aussi doit aller dans sa paroisse et doit dire : “Je vais servir cette aumônerie, cette paroisse, avec son histoire, ses traditions…” Parfois, des prêtres arrivent et veulent aussitôt tout changer. C’est perdu d’avance.  

L’Église universelle est entrée dans une démarche synodale. Depuis le concile Vatican II, y a-t-il quelque chose que les catholiques de France n’ont pas encore pleinement compris ou pleinement mis en œuvre concernant le rôle des laïcs dans l’Église ?  
Par rapport à la question de la relation des prêtres avec les laïcs, il faut se reporter au décret Presbyterum Ordinis(1965). Il explique comment les prêtres sont des pères, des chefs, et des pasteurs, mais aussi, et ce n’est pas contradictoire, qu’ils sont des frères et des amis. Vraiment ce texte insiste beaucoup là-dessus : le prêtre va prêcher, c’est lui qui est responsable de la paroisse, et il faut qu’il le soit et le reste, mais en même temps il est avec des frères et des amis, à savoir avec des gens qui ne vont pas simplement l’aider, mais qui vont tenir leur place de façon éminente — ce sont tous les conseils dont dispose une paroisse. Ce qui fait qu’on peut dire mon père ou monsieur l’abbé, et dans d’autres circonstances se saluer par le prénom ; les deux sont légitimes. C’est un pasteur et c’est un frère. Le texte est assez détaillé sur l’interaction entre le ministère des prêtres et la place des fidèles dans la vie paroissiale. Quant à ce que dit le Concile à propos de la place des laïcs dans la vie de l’Église, il l’évoque aussi dans la vie ordinaire. Il s‘agit de déployer le sacerdoce baptismal — prêtre, prophète et roi — dans le travail, dans la famille, dans les loisirs, dans la culture, la vie politique, la vie en général. Tous les chrétiens doivent s’y investir. Ce n’est pas nouveau, mais il y a une insistance à ce sujet. Jean Paul II reprend cela dans l’exhortation Christifideles Laici(1988) sur la place des fidèles dans l’Église et dans le monde. C’est un texte qui demeure d’actualité. 

Le pape François a fait une ouverture intéressante lors du Synode sur l’Amazonie. Il a repris les trois grandes fonctions du prêtre : annoncer l’Évangile, sanctifier et gouverner.

Ce qui nous bloque aujourd’hui, c’est que le nombre de prêtres diminuant tellement, le modèle du curé avec “son peuple” bien circonscrit est amené à disparaître. Dans le monde rural, les prêtres n’ont pas deux ou trois clochers, mais quinze, 20, 30, parfois 40. Et des tâches diocésaines viennent aussi s’ajouter, ce qui fait qu’il y a rarement un prêtre à plein temps dans sa paroisse, ce qui était le cas pendant des décennies. Ce n’est pas qu’on n’a pas compris les textes du Concile, c’est qu’on ne peut plus tenir le système. C’était un excellent système, très performant, et qui a produit beaucoup de beaux fruits — mais qui aujourd’hui nous épuise. 

Sans s’avancer sur la conclusion de la démarche synodale, que pouvons-nous déjà entrevoir dans la réorganisation de la charge des prêtres et des besoins des prêtres à l’avenir ?
Le pape François a fait une ouverture intéressante lors du synode sur l’Amazonie. Il a repris les trois grandes fonctions du prêtre : annoncer l’Évangile, sanctifier et gouverner. Et il a indiqué que les deux qu’il faut absolument garder sont l’annonce de l’Évangile et la sanctification, à savoir la célébration des sacrements. En revanche, le gouvernement, c’est-à-dire l’organisation de la paroisse, parfois dans des structures qui sont très importantes, peut sans doute être davantage délégué. On pourrait avoir trois ou quatre personnes à qui on confierait la marche de la paroisse, et le prêtre s’en occuperait moins, même s’il en reste le garant. Il pourrait alors se consacrer davantage à l’évangélisation et la sanctification. Avec le risque, redouté par certains prêtres, de devenir des prêtres itinérants, qui passent de lieu en lieu pour célébrer une messe, donner une prédication, faire un enseignement, célébrer un baptême, un mariage, un enterrement, sans demeurer avec les gens. Parfois on dit que le ministère des prêtres sera plus paulinien, c’est-à-dire à l’image de saint Paul qui passait quelques mois dans une communauté et ensuite la quittait. On va sans doute être amenés à voir des assouplissements dans le fait que le gouvernement soit aussi assuré par des fidèles, avec la question : qui va-t-on nommer ?

Ces futurs ministères laïcs seront soit dans l’enseignement, soit dans la gouvernance, soit dans le caritatif, soit dans l’évangélisation.

Ces laïcs besoin d’être formés, pour devenir un peu comme les parish managers de l’Église catholique américaine ?
Oui, formés et bien reconnus. Nous allons réfléchir beaucoup, je pense, dans les années qui viennent, à ce qu’on appelle les “ministères laïcs”, c’est-à-dire à donner à des laïcs des ministères qui ne soient pas des ministères ordonnés, mais à la manière de ce qu’on appelle en Afrique des “catéchistes”, qui sont davantage que des personnes qui font du catéchisme, mais qui sont vraiment responsables d’une communauté, qui sont formés, parfois pendant deux ou trois ans. Ces futurs ministères laïcs seront soit dans l’enseignement, soit dans la gouvernance, soit dans le caritatif, soit dans l’évangélisation. Ensuite bien de questions se posent : Faut-il qu’ils soient nommés à vie, ou simplement pour six ans ? Y aura-t-il beaucoup de candidats ? Quoi qu’il en soit, il faut former les gens, et en amont les appeler, et qu’ils soient reconnus par les fidèles, vraiment en pleine responsabilité, toujours en communion avec le prêtre bien entendu. C’est là où le prêtre doit accepter de laisser la main. Cela demande dialogue et confiance. À mon avis, cela doit se développer, et ce ne sera pas simplement parce qu’il manque de prêtres, mais aussi pour quitter l’image du prêtre qui faisait tout. Hier, il y avait beaucoup de prêtres en France, nous étions gâtés. Dans le diocèse de Bayeux et Lisieux, en 1928, il y avait 800 prêtres. Maintenant, ils sont entre 60 et 80 en activité.

Pour conclure, quelle est selon vous la priorité essentielle ?
Je reviens sur le Synode. Un synode, c’est “marcher ensemble”. Il semble que ce synode a été mal reçu par certains prêtres qui y ont vu une remise en cause de leur mission. Parfois des critiques ont pu être adressées sur le cléricalisme, ou sur un certain nombre d’autres choses. Il faut qu’un prêtre arrivant dans sa paroisse puisse se dire : “Je marche avec ce peuple vers qui je suis envoyé, qui doit me respecter comme prêtre et m’accueillir comme tel, et c’est ensemble, fraternellement que nous devons avancer.” De son côté, le prêtre doit accueillir sa paroisse avec son histoire et ses traditions, et sans se comparer à ce qui se faisait il y a 20 ou 30 ans. Tous doivent se dire : “nous allons avancer ensemble”, avec la dimension fraternelle qui est très importante. 

Ce qui doit être absolutisé, c’est la communion.

En amorçant votre série sur l’aide aux prêtres avec la question de l’unité, vous avez touché à l’essentiel, parce qu’il faut impérativement que s’arrêtent nos guerres intestines qui sont parfois liturgiques, parfois pastorales… Je dis souvent aux catholiques que je rencontre : “Vous avez un charisme particulier, une sensibilité particulière, c’est très bien et utile, mais vous ne pouvez pas l’absolutiser. Ce qui doit être absolutisé, c’est la communion.” Si des personnes de différentes sensibilités ne peuvent pas se rencontrer et célébrer ensemble, c’est catastrophique, cette Église n’a pas d’avenir. Il faut revenir à ce qui est fondamental. Que les chants soient en français ou en latin, que la messe soit célébrée dos ou face au peuple, cela ne peut pas prendre la première place. Et cela demande une formation. Ce qui m’a frappé dans le Synode, c’est le besoin de formation pour réviser les jugements trop rapides et comprendre réellement le sens profond de la communion, la vie chrétienne, la vocation du prêtre, et l’enjeu de l’unité pour l’avenir de l’Église. L’Église a besoin de prêtres, il faut prier pour eux, prier pour les vocations. Nous sommes un peuple en marche : qu’il marche en communion et fraternellement à la suite de son Seigneur. 

Propos recueillis par Alexandra Maclennan.

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