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Le millénaire du Mont Saint-Michel ou l’heure de renouer avec l’essentiel

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mont saint michel

Fluke Cha | Shutterstock

Mont-Saint-Michel.

Patrice de Plunkett - publié le 05/05/23

Mille ans après la pose de la première pierre de l’abbatiale, que viennent chercher les pèlerins du Mont Saint-Michel ? Pour l’auteur des "Romans du Mont Saint-Michel" (Éditions du Rocher), livre-enquête sur le succès populaire du Mont à travers les siècles, la quête est plus enfouie, mais toujours la même : se préparer pour le Ciel.

Le Mont Saint-Michel fête encore un millénaire ! En 1966 c’était son “millénaire monastique”, pour commémorer l’arrivée des moines au Mont. Ces moines étaient des bénédictins mais aussi des Normands, placés là par le duc Richard pour soustraire le Mont à l’influence bretonne… En 2023, voici une nouvelle célébration officielle : le millénaire de la première pierre de l’abbatiale. Celle-ci fut construite aux frais de quatre ducs de Normandie dont Guillaume le Conquérant, qui l’inaugura en 1080 ; pour lui le haut-lieu devait servir le prestige du duché. Ensuite le Mont a subi l’emprise des rois d’Angleterre et celle des rois de France… Ainsi le politique s’est acharné à détourner le spirituel ; le spirituel a dû lutter pour rester lui-même.

L’épreuve du grand Passage

Si les politiques médiévaux s’intéressent au Mont, c’est en effet parce qu’il exerce depuis le VIIIe siècle un magnétisme sur les foules. Et ce phénomène n’est pas politique. L’archange venu de la Bible existait avant les empereurs, les ducs et les rois. Les foules médiévales pèlerinent au Mont Saint-Michel exclusivement pour le spirituel ! Tout au long du Moyen Âge, à la grande époque, l’archange fait surgir du sol d’étranges mouvements populaires anarchistes et mystiques, des cortèges de milliers d’enfants de toute l’Europe partis sur les routes vers le Mont et regardés avec méfiance par les seigneurs, avec perplexité par les évêques… 

D’où vient le magnétisme qui attire ces foules vers “Saint Michel du Péril de la Mer” ? La clé du phénomène est donnée par un récit composé au Mont vers 860, la Revelatio. Cette clé est surnaturelle : c’est que “le bienheureux archange Michel est chargé d’introduire les âmes dans le séjour de paix”. Le métier de Michel est d’acheminer les mourants vers le Ciel. Invoquer maintenant l’archange est une précaution pour notre future dernière heure… Le pèlerinage au Mont a un sens prémonitoire, initiatique : au Moyen Âge, mourir se dit “trépasser” (traverser) ; et traverser pieds nus le grand désert marin de la baie du Mont — ce no man’s land entre terre et mer — c’est s’entraîner pour l’épreuve du vrai grand Passage. Gravir le rocher vers l’abbatiale au sommet, c’est se préparer à monter vers le Ciel. Entrer dans l’abbatiale, c’est une préfiguration de l’escalier du Ciel : de la nef au transept et à l’autel, cinq mètres de dénivelé ! Les architectes croyants du XIe siècle ont voulu montrer que nos fins dernières seront une ascension.

Le sanctuaire des fins dernières

Mais en 2023, mille ans plus tard, notre époque nie le sens de la mort ; elle voudrait escamoter la mort elle-même. Sans préjuger de ce que seront les festivités officielles de ce millénaire, on peut se demander si elles sauront toutes faire écho à la raison d’être du Mont Saint-Michel, sanctuaire des fins dernières.

D’autant que cette raison d’être persiste au XXIe siècle, discrètement, parmi les foules mondiales qui affluent sur le rocher… Quand j’écrivais mon enquête sur l’histoire vécue du Mont, j’ai trouvé dans la nef de l’abbatiale, sur un petit lutrin, un cahier d’écolier et un stylo. Les visiteurs y écrivaient ce qu’ils voulaient. Que lisait-on ? Des messages proches des prières des pèlerins du XVe siècle. De Jessica et Johann (France) : “Saint Michel avec ta force grandiose, veille sur Katy qui a souffert…” De Kevin (Québec) : “Reste en paix, Renée Jolibois, tu es avec ton amour…” De Heather (Ecosse) : “May my grand-parents rest in peace…” D’Edson (Brésil) : “Je pense le passage…” D’Alissa (Italie) : “Dans ce lieu unique je viens prier pour tous mes connaissants partis de ce monde, j’espère qu’ils trouveront la paix éternelle…” Je suis resté une heure sur un banc près du pupitre, pour voir. Les visiteurs avançaient dans la nef, caméra ou smartphone en main. Passant près du pupitre ils hésitaient un instant, s’approchaient, jetaient un coup d’œil. Feuilletaient. Beaucoup prenaient le stylo et écrivaient quelque chose. Très souvent une prière pour le repos de leurs trépassés. D’où leur venait ce réflexe ? 

Chemin des profondeurs

Plus l’époque est matérialiste en surface, plus les demandes spirituelles cheminent en profondeur. Dans toutes les directions. Qui sait où l’internaute va péleriner de nuit sur son écran : il peut tomber sur un fil de soixante commentaires à propos de la possibilité d’une résurrection des morts. Mais il trouvera aussi des dissertations sur les “ondes” et les “énergies”, fatras diffusé depuis quarante ans qui parasite la recherche spirituelle — et qui n’épargne pas le Mont Saint-Michel, où les guides doivent répondre à des questions nébuleuses à base de “flux telluriques” qui “boostent la conscience de soi”… Souhaitons que le millénaire de l’abbatiale soit plutôt l’occasion, pour le grand public, de (re)découvrir ce pour quoi elle existe vraiment.

Pratique

Romans du Mont Saint-Michel, Patrice de Plunkett, Éditions du Rocher, 315 pages, 2011.

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