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Silence sur la foi catholique de Jacques Delors

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Eric PIERMONT / AFP

Jacques Delors.

Michel Cool - publié le 30/12/23

Le concert d’éloges et d’hommages pour Jacques Delors, disparu le 27 décembre, fait silence sur sa foi catholique, comme si sa pratique religieuse n’avait eu aucun effet sur ses engagements. Pour l’écrivain Michel Cool, cette mise sous le boisseau de la foi d’un homme d’État à l’heure de sa mort est une nouvelle illustration d’une schizophrénie typiquement française.

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Les hommages publics à Jacques Delors, décédé le 27 décembre à l’âge de 98 ans, abondent. Tous saluent son œuvre politique, peu ou quasiment aucun ne se réfère explicitement à sa foi catholique (à l’exception notable mais pas surprenante du quotidien La Croix). Elle fut pourtant un aspect essentiel, déterminant même de sa vie et de son action publique. Lui-même était respectueux de la laïcité républicaine, mais son attachement n’était pas aussi sourcilleux que celui de certains de ses “camarades” socialistes : Jacques Delors n’a jamais scénarisé sa pratique religieuse, mais il ne l’a jamais non plus honteusement esquivée.

Un paroissien décomplexé

Personnalité politique en apparence pudique et austère, qu’il fut syndicaliste, militant politique, élu municipal, ministre ou encore président de la Commission européenne, Jacques Delors était un paroissien dominical fidèle et décomplexé. Reconnu dès son vivant comme un des bâtisseurs de l’Union européenne, sa pratique religieuse est un autre point commun significatif entre lui et d’autres Européens historiques tels que Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi. Cette mise sous le boisseau de la foi de Jacques Delors à l’heure de sa mort est une nouvelle illustration d’une espèce de schizophrénie typiquement française, incompréhensible ailleurs dans le monde, consistant au nom d’une laïcité étriquée, à découper la vie humaine en rondelles en séparant bien la chair de son noyau !

Jacques Delors apporte un témoignage stimulant aux catholiques désireux de mettre la main à la charrue pour creuser toujours plus de sillons de fraternité dans la société.

C’est comme si tout homme, toute femme accédant aux responsabilités et à la notoriété publiques devait perdre sur le champ, en place de Grève, non pas sa tête, mais le cœur battant de son existence. On s’étonnera ensuite que la République, lessivée, épurée pour ainsi dire, de toute dimension spirituelle, apparaisse si peu éloquente et attirante pour des générations en soif d’appels à escalader des cimes. À commencer par celles de leur propre intériorité. Cette fameuse intériorité que Jaurès n’excluait d’ailleurs pas de son idéal de spiritualité laïque.

Liberté intérieure

Jacques Delors apporte un témoignage stimulant aux catholiques désireux de ne pas séparer leur foi de la vie et de mettre la main à la charrue pour creuser toujours plus de sillons de fraternité dans la société. Son parcours politique atteste qu’il est possible de vivre en ce monde, comme l’enseigne une antique page de la littérature chrétienne, en se comportant à la fois en citoyen de la terre et en citoyen du ciel. S’il y a une pratique chrétienne de la politique fondée sur la fidélité à l’idéal mais aussi sur l’obéissance au réel et le respect de l’adversaire, Jacques Delors en est assurément un praticien vertueux. Cette façon de faire de la politique, l’amena à emprunter des chemins qui ne contrariaient pas sa conception exigeante du service de l’intérêt général et son peu de goût pour l’odeur de poudre des batailles électorales et les accords d’alcôves politiques. Aussi en 1995, il décida de désobéir aux sondages, pourtant flatteurs en sa faveur, en ne se lançant pas dans la course à l’Élysée.

La liberté intérieure de cet homme d’État dénotait, si l’on peut dire, dans l’univers familier qu’il fréquentait. Elle le prémunissait contre les excès et les outrances qui défiguraient et discréditaient selon lui l’action politique. Adepte de la pondération et du compromis pour ce qu’il estimait juste, Delors exécrait les fausses promesses et les compromissions qui désennoblissent la carrière politique.

Un homme d’État inclassable

En 1984, j’avais eu le privilège d’interviewer Jacques Delors pour le numéro de Pâques de l’hebdomadaire La Vie, dans son bureau de ministre de l’économie, situé à l’époque dans l’aile Richelieu du palais du Louvre. Le sujet de notre conversation était la signification de Pâques pour lui. “Dans la vie d’un chrétien, Pâques est l’événement le plus extraordinaire, avait-il répondu. La résurrection du Christ, la victoire de la vie sur la mort, donne au croyant, la réponse suprême à tout ce qui est inexplicable, insupportable à vivre, comme la mort d’un être cher…” Deux ans auparavant, le ministre avait perdu son fils cadet, le journaliste Jean-Paul Delors, emporté par une leucémie à l’âge de 29 ans.

Jacques Delors appartenait à ce style d’hommes d’État inclassables et irrécupérables qui demeurent toute leur vie subordonnés à leur foi profonde en Jésus-Christ. Que cette foi soit escamotée pour complaire aux rigueurs en usage n’est, au fond, pas nouveau. Depuis deux millénaires le christianisme en a vu d’autres. Cela ne l’a pas empêché de témoigner hier, et aujourd’hui à l’instar de Jacques Delors. Ce n’est pas cette moindre trace qu’il laissera dans notre Histoire et dans nos mémoires.

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