C’était sur les rives du lac de Tibériade, non loin de Capharnaüm. Sur une montagne dont on ne sait pas grand chose, si ce n’est qu’elle manifeste le point de jonction entre la terre et le ciel, le Christ s’adresse à son peuple pour lui livrer ce que le père Philippe Bernard appelle une “feuille de route” : les huit béatitudes. “D’abord, estime ce curé de Normandie, il faut savoir que les deux traductions se valent : on peut dire ‘pauvre en esprit’, ou ‘pauvre de cœur’. Je préfère la première qui me paraît plus facile à comprendre. Elle évoque l’attitude de celui qui sait dire : merci Seigneur pour mes biens matériels, bien qu’ils ne soient pas au cœur de ma vie”.
Un accès privilégié au Royaume des Cieux
Pour le prêtre, “le pauvre est celui qui reçoit avec gratitude toute chose comme venant de Dieu : être pauvre, c’est reconnaître que tout nous est confié par Dieu”. Certes, Jésus ne cache pas sa préférence pour les pauvres qui, matériellement, n’ont rien : c’est l’enjeu même de sa rencontre avec le jeune homme riche. “Ce que nous dit cet évangile, c’est, entre autres, qu’il existe un accès privilégié au Royaume des Cieux pour toutes les formes de pauvretés subies et choisies ; privilégié mais pas exclusif. Le masochisme n’est pas une vertu chrétienne : il ne faut pas être malheureux pour aller au Ciel. Dieu n’a pas créé l’homme pour le malheur et d’ailleurs, que serait un Dieu qui aurait créé l’homme en se disant : ‘Ah ! Je vais le faire souffrir toute sa vie !’ ? Pas le Dieu auquel je crois en tout cas”.
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : “Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi.” Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : “Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu !” (Mc 10, 21-23)
“Jésus n’a jamais dit ‘heureux ceux qui meurent de faim’! s’exclame le père Philippe Bernard. Il faut éliminer tout ce qui tient au matériel pour aller au cœur du sujet et se poser la question : au fond qu’est-ce qui est essentiel pour moi, et qu’est-ce qui est secondaire ?”. Tout, dès lors, doit être subordonné à un seul but : chercher Dieu.
C’est l’exemple de saint François d’Assise, jeune homme riche d’un autre temps. Fils d’un riche commerçant, il renonça à tous ses biens pour vivre dans la pauvreté, dans un retour radical à l’Évangile. “Saint François s’est converti à la rencontre des pauvres, souligne le curé de Saint-Jacques des Valleuses. À Assise, il renonce au monde en se dépouillant de ses vêtements pour les rendre à son père et manifester le fait que, désormais, sa vie n’appartient plus qu’à Dieu. Alors évidemment, tout le monde n’est pas appelé à vivre ce genre de conversion radicale, cela va de soi. Le fond, en revanche, nous concerne tous puisque l’idée est de dire que la pauvreté évangélique est de choisir le Christ et que tout le reste passe après et devient secondaire”.
Tout recevoir avec gratitude
Celui qui se reconnaît pauvre reçoit tout avec une gratitude immense. “Dans ma vie de prêtre, je rencontre souvent des gens gravement malades, souligne le père Philippe Bernard. Ce sont eux qui, souvent, savent le mieux savourer les petites choses toutes simples : un rayon de soleil, un bon repas, la visite d’un ami”. Lorsque le Christ annonce “Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux”, il n’invente pas la notion de béatitude. “Les psaumes utilisent 17 fois cette formule, souligne le père Philippe Bernard. C’est d’ailleurs par ce mot que commence le premier psaume“. La recherche du bonheur se fait ailleurs que dans la satisfaction de biens matériels, qui ne sont pas pour autant mauvais en soi. “La question n’est pas de savoir ce que les gens font de leur argent, mais ce que l’argent fait des gens, souligne le prêtre. On peut gagner très bien sa vie et vivre simplement. L’argent n’est pas mauvais en soi, à condition qu’il ne nous coupe pas des autres : il faut simplement savoir où se trouve son trésor, au Ciel ou dans son compte en banque.”.
La question n’est pas de savoir ce que les gens font de leur argent, mais ce que l’argent fait des gens.
Pour le pauvre de cœur, les bonheurs de cette vie sont subordonnés au bonheur de croire. C’est l’exemple de Dom Gérard Dubois, ancien père abbé de la grande Trappe de Soligny, dans son livre Le Bonheur en Dieu. Un “titre très juste”, pour le père Philippe Bernard. “Vu avec des yeux strictement humains et mondains, un moine n’a rien et pourtant il cherche le bonheur suprême qui est le Seigneur. Ce n’est pas pour rien que les religieux font vœu de pauvreté, non pas pour dire ‘crevez de faim et ne vous chauffez pas’, mais pour dire, comme dans l’Évangile, ‘cherchez l’essentiel et tout le reste vous sera donné par surcroît'”.