“Une grande quantité de bougies” : c’est le détail qui frappa l’écrivain Charles Dickens alors qu’il tentait d’assister aux cérémonies pontificales du Jeudi saint au Vatican en 1845. Pris au milieu d’une foule dense plongée dans la pénombre, l’anglican n’avait alors pu qu’entrapercevoir une scène peu commune, celle de l’illumination de la chapelle Pauline, au cœur du palais du Vatican, – avant qu’on ne lui ferme la porte au nez.
Ce qu’il vient de voir est en fait une “Machine des Quarante-Heures”, un mobilier liturgique aujourd’hui oublié. Au XVIe siècle, pour répondre aux courants protestants qui rejettent radicalement le dogme de la transsubstantiation, et donc la présence réelle du Christ dans l’hostie, la “Contre-Réforme” catholique œuvre activement pour promouvoir l’Eucharistie. C’est dans ce contexte que va prospérer la cérémonie des Quarante-heures.
Les quarante heures du trépas du Christ
D’origine toscane et importée à Rome par saint Philippe Néri, cette dévotion centrée sur l’adoration du Saint-Sacrement, convainc le pape Grégoire XV de l’instaurer officiellement en 1592 avec la bulle Graves et diuturnae. Il existe une tradition jésuite de ce rituel des Quarante heures, qui est plus flamboyante que la tradition capucine, plus austère et pénitentielle.
Cette liturgie se fonde sur la tradition selon laquelle l’intervalle entre la mort et la résurrection du Christ a été de quarante heures – de 15h le Vendredi saint à 7h le jour de Pâques. Après une messe d’ouverture, les fidèles sont invités à se relayer pendant quarante heures pour adorer la présence réelle de Dieu présentée dans l’ostensoir, cet événement se concluant par une nouvelle messe.
Éphémères et magnifiantes
Pour magnifier ces cérémonies particulièrement fortes, célébrées souvent au début ou à la fin du Carême, on met au point des installations éphémères appelées “machines des quarante heures”. Ces assemblages richement ornementés et dorés, permettant d’installer de nombreuses bougies, ont pour but d’attirer tous les regards sur le Saint-Sacrement placé au centre de la composition.
Ces constructions étaient parfois utilisées pour des processions. De formes et tailles variées, parfois suspendues en hauteur, elles nécessitent souvent d’être surveillées de très près pour éviter les incendies. Par la suite, se développeront d’autres types de “machines baroques”, comme celle de l’église du Gesù à Rome, qui utilise des mécanismes.
La plupart des machines des Quarante Heures ont “disparu avec le temps”, explique Alessandro Rodolfo, responsable du département d’art des XVIIe et XVIIIe siècles des Musées du Vatican. La dernière machine encore installée dans une église romaine – dans la basilique Santa Maria dell’Orto – a été démontée en 2022.
Un modèle unique en son genre
Par chance, un modèle particulièrement remarquable de cet ornement a été retrouvé dans les entrepôts des Musées du Vatican. Réalisé par plusieurs artistes, dont Le Bernin, il aurait été utilisé dans la chapelle Pauline – celle-là même dans laquelle Charles Dickens n’avait pu jeter qu’un regard – avant d’en être retiré.
Quatre bougeoirs représentent les quarante-heures, et la structure est ornementée de statues de prophètes, d’anges, de lanternes, de dentelles et de plumes de paon. L’ensemble était installé au-dessus de l’autel dans une église plongée dans la pénombre, la scène étant accompagnée de musique et d’encensement pour “impliquer tous les sens”, assure Alessandro Rodolfo.
Au centre de ce décor scintillant était enfin placée l’hostie consacrée, qui concentrait alors les lumières pour évoquer la lumière divine de Pâques. “C’est une machine en or, faite pour briller, conçue pour émaner la lumière de la résurrection finale”, souligne la directrice des Musées du Vatican, qui a annoncé son souhait d’intégrer cette œuvre à la collection permanente.