“Si vous n’avez jamais pleuré parce que Dieu n’est pas aimé, il manque quelque chose à la force de votre foi.” Pourquoi un choc particulier devant cette phrase de l’abbé Cyril Gordien, mort il y a un peu plus d’un an, dans un livre posthume qui contient bien d’autres pépites spirituelles ? Pourquoi un nouveau choc un peu plus loin, devant cette exhortation à la jeunesse, à propos des épreuves qui peuvent terrasser : “N’aie pas honte de pleurer. Saint Pierre a pleuré. Jésus a pleuré. On ne peut tenir que grâce à Dieu. C’est la source du courage” ? Pourquoi ce bouleversement intérieur, une troisième fois, lorsque l’abbé écrit dans son testament spirituel, le cinquième et dernier chapitre du Courage de la foi : “Je crie souvent vers le Seigneur, je pleure aussi, parfois. L’épreuve est lourde. Je ne me rebelle pas contre Dieu, mais j’ose crier, comme les psalmistes. Le cri de l’âme qui souffre est aussi une prière” ?
L’effacement du prêtre
Peut-être parce que ces larmes, dans un livre qui est par ailleurs le moins larmoyant du monde et qui évite le piège du lamento sur notre époque, authentifient paradoxalement l’appel au courage de la foi. La force de l’abbé Gordien rayonne tellement qu’on pourrait par moments imaginer une détermination un peu volontariste, éloignée des faiblesses humaines à force de fermeté. Très mauvaise lecture, pourtant, celle qui ne verrait qu’une puissante volonté individuelle, là où la ténacité dans la mission est tout entière puisée à la source divine, plus spécialement eucharistique.
Peu de livres révèlent à ce point combien un prêtre peut avoir une très haute idée du sacerdoce sans avoir une haute idée de lui-même.
Ce qui frappe plus que tout dans Le Courage de la foi est l’effacement du prêtre devant le Maître qu’il sert. Nulle esbrouffe, nulle recherche de l’effet de style, nulle séduction, nulle démagogie jeuniste dans l’espoir d’attirer les regards ou les likes de l’esprit du monde. À chaque phrase, la même évidence s’impose : l’abbé Gordien n’est jamais disciple de lui-même, mais toujours du Christ et de l’Église. Peu de livres révèlent à ce point combien un prêtre peut avoir une très haute idée du sacerdoce sans avoir une haute idée de lui-même. Pas de meilleur remède au fameux “cléricalisme”, dans lequel chacun tente de faire entrer tous ses combats personnels contre les travers de certains curés. Les mots de l’abbé Gordien ne sont pas ceux d’un leader idolâtré, animateur adulé pour sa guitare ou antimoderne canonisé d’avance pour sa soutane, mais ceux d’un prêtre qui sert la Vérité et qui sait qu’Elle le dépasse infiniment. La force de chaque phrase tient à son ancrage dans la prière, dans les sacrements, dans la parole de Dieu. L’abbé Gordien cite la Bible, les papes, les saints. Pas d’effets de manche, pas de soumission à l’obligation presque tyrannique de faire des blagues. Le Christ a les paroles de la Vie éternelle et cela suffit.
Une joie empreinte de gravité
Prêtre austère ? Sûrement pas, mais homme qui ne confond pas la joie et la rigolade, qui préfère le sourire apaisant de Marie aux rires gras des faux heureux. La joie que transmet l’abbé Gordien est empreinte de gravité. Gravité de celui qui sait qu’il y a un combat héroïque à mener, que chacun est guetté par le découragement — “l’arme absolue du démon” —, que des loups se sont glissés même parmi les prêtres et les évêques, que le plus dur est de souffrir par l’Église… Joie, pourtant, de celui qui, avec Benoît XVI, témoigne de tout son être que “le Christ n’enlève rien et [qu’] il donne tout”. Joie de celui qui chante, avec le psalmiste, que “si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal”. Joie qui n’est jamais acquise, qui ne vient pas d’une disposition naturelle à la gaieté, mais que la foi fait quémander à genoux à Celui qui peut seul la donner : “Si parfois la tristesse apparaît, je demande au Seigneur de la changer en joie.” Joie qui, en somme, se nourrit des larmes qu’elle transfigure. Sachant d’où vient sa joie et quel aveu de faiblesse elle suppose, le prêtre peut alors la donner aux fidèles dans toute sa force, sans en tirer la moindre gloire.
““Serviteur de votre joie”, je vous bénis de tout cœur.” C’est par ces mots que l’abbé Cyril Gordien clôt son testament spirituel. Cette ultime bénédiction est forte des larmes versées et des joies accueillies. Elle est forte aussi, désormais, du calvaire vécu jusqu’aux ravins de la mort. On la reçoit donc avec la certitude que la fécondité de ce sacerdoce est loin d’être épuisée.
Pratique