“Qui peut oublier la présence et le témoignage de ses grands-parents ?”, rappelait le pape Benoît XVI en 2008. Autrefois, les grands-parents tenaient une place essentielle dans les familles, dont ils partageaient souvent le foyer. Avec une espérance de vie plus courte que maintenant, on savourait la chance de pouvoir profiter d’une grand-mère ou d’un grand-père vénéré parce que rare. Aujourd’hui, les grands-parents sont plus nombreux, les générations ne cohabitent plus sous le même toit, le modèle familial est bouleversé. Que deviennent donc les grands-parents dans cette configuration ?
Ne pas se substituer aux parents pour l’éducation des enfants
Les grands-parents ont une place plus essentielle que jamais, estimait le Père Yannik Bonnet (†), qui était prêtre et grand-père : « Les séparations, le travail des deux parents, rendent leur présence nécessaire, mais, poursuit-il, c’est bien plus compliqué qu’avant ». Un avis partagé par Yves Boutonnat, ancien président de l’École des grands-parents européens, une association qui promeut et réfléchit sur leur rôle : « Ils souffrent d’être traités surtout comme des prestataires de services et parfois d’un chantage affectif pratiqué par les enfants ». On demande aux grands-parents d’aujourd’hui d’être disponibles à 100 %, alors qu’eux-mêmes sont encore actifs et souvent débordés d’engagements quand ils sont à la retraite ; de rester alertes et au courant de tout, alors même qu’ils prennent de l’âge ; et d’accueillir dans leurs propres familles des situations qui heurtent leurs convictions les plus profondes et qui les peinent. Comment, dans ces conditions, se positionner ? Marie et Marc, Martine, Françoise, Brigitte et Joseph, Élisabeth et Hugues, âgés de 52 à 73 ans, représentent la diversité de situations des grands-parents d’aujourd’hui. Tous, quelles que soient les difficultés, disent d’emblée la joie que leur apportent leurs petits-enfants.
Françoise, cinq enfants tous mariés et bientôt quatorze petits-enfants, l’explique : « La vie est un don et on en prend davantage conscience en vieillissant ; la seule chose qui compte c’est d’aimer, et comme nous ne voyons les petits-enfants qu’occasionnellement, nous nous concentrons sur ces moments-là ». C’est pourquoi même si leur position est délicate, ils récusent le terme de souffrance : « Nous souffrons quand nos enfants souffrent », affirment Marc et Marie, quatre enfants dont une fille divorcée-remariée et une belle-fille qui refuse de les voir, et cinq petits-enfants. Martine, trois enfants dont un couple non marié et une petite-fille qui n’est pas baptisée, alors qu’elle-même vit du Christ, constate : « C’est d’abord un manque pour elle ». De même Françoise, qui trouve dommage que trois de ses petits-enfants ne soient pas baptisés mais qui en parle librement à sa fille, sans pour autant lui faire la leçon.
Tous conçoivent leur rôle dans la disponibilité, l’accueil et le don de soi. Ils considèrent qu’il est plus que normal de rendre service, même s’ils savent aussi poser des limites. Pour Brigitte et Joseph, il est important de préserver du temps pour soi, et, ajoutent-ils, « on ne doit pas et on ne peut pas remplacer les parents ». Marc et Marie ont adopté la même règle, sauf cas d’urgence ; ils ont aussi décidé d’être témoins de miséricorde et d’accueillir toutes les situations familiales. Seuls Brigitte et Joseph peuvent se réjouir de n’avoir connu aucun accroc sur ce plan-là, avec leurs deux enfants mariés et leurs huit petits-enfants tous baptisés – ces grands-parents ont bien compris qu’ils ne peuvent se substituer aux parents pour l’éducation des enfants.
Aimer sans compter, sans juger, et sans rien attendre en retour
Françoise comme Martine pourtant imposent certaines règles chez elles, et font attention à faire respecter celles qu’ont édictées les parents. Ainsi, Françoise n’a jamais de bonbon à la maison, car elle a senti que ses enfants n’apprécieraient pas. De même, Martine se garde bien d’intervenir en présence des parents, notamment lors des repas, où elle assiste, bouche cousue, aux caprices de sa petite-fille ; ayant eu elle-même une mère très envahissante, elle sait combien il est important de respecter la liberté de ses enfants.
Accueillir inconditionnellement ne signifie donc ni donner tout son temps, ni vouloir combler les manques des parents. Accueillir des belles-filles et des gendres d’une autre religion n’est pas non plus simple, avouent Hugues et Élisabeth, cinq enfants mariés et quatorze petits-enfants : « Avec mon gendre, c’est surtout la différence d’éducation que j’ai eu du mal à accepter ; chez ma belle-fille, c’est le matérialisme qui me dérange ; je me suis raccroché au fait qu’ils rendent mes enfants heureux, explique Hugues. Pour les petits-enfants, poursuit Élisabeth, j’essaie de les accueillir sans les juger, de les aimer sans faire de préférence. Ne rien dire ne va pas de soi, comme nous l’avons expérimenté quand une de nos filles, avec son mari et ses trois enfants, s’est installée chez nous, pendant plusieurs mois ! Nous avons beaucoup pris sur nous », se souvient-elle en riant.
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Aimer sans compter, sans juger et sans rien attendre en retour, est la règle que se sont fixée ces grands-parents, mais ils ont bien conscience qu’ils ont aussi la tâche délicate de transmettre. « C’est même leur rôle fondamental, estimait de son vivant le père Bonnet, mais cela va passer par des conseils et non par des ordres. » C’est ce que pratique Françoise : « Quand nous leur demandons quelque chose, c’est fait dans une atmosphère très différente de chez eux car nous avons plus de temps pour expliquer le pourquoi des choses ». « Ils le comprennent très bien, a constaté Marie, et cela leur fait du bien ; une manière d’apprendre qu’il existe des normes différentes selon les foyers ». La question est aussi de savoir quoi transmettre ; car les plus jeunes écoutent en général plus attentivement leurs grands-parents que leurs propres parents. Ainsi, les anciens peuvent être de véritables appuis pour les plus jeunes, à condition d’écouter et de questionner à bon escient plutôt que de vouloir endoctriner. Cela signifie donc avant tout transmettre une expérience de vie qui pourra aider leurs petits-enfants à faire leurs choix. Et cela vaut aussi pour la foi.
Témoigner de sa foi par sa manière de vivre
« Nous avons à être les témoins de l’amour de Dieu, dans le respect », dit Françoise. C’est là le grand défi : « Respecter les convictions de nos enfants ne m’empêche pas d’annoncer le Christ », complète Martine. Et d’ajouter : « Il est mort pour nous, et je n’ai donc pas le droit de me taire devant ma petite-fille ; mais je dois veiller à le faire avec l’accord de ses parents ». Les difficultés qu’elle a rencontrées avec le couple de son fils ont paradoxalement renforcé sa foi, au lieu de la décourager. Geneviève, 86 ans, nuance : « Bien sûr, on ne peut pas faire la leçon… Mais je dois témoigner par ma manière de vivre. Et puis on peut toujours dire : Tout ce que je peux constater, c’est que la foi, dans une vie qui commence à être longue, a toujours été ma force. Et, ayant traversé des moments de détresse et des deuils, car on ne parvient pas à mon âge sans voir partir des êtres chers, elle est aussi ma joie – probablement à cause de l’espérance ».
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Pour Marie, chercher une manière de triompher de cette difficulté même a été un stimulant pour l’enraciner plus en Dieu : « Les difficultés traversées par les foyers de mes enfants m’ont obligée à chercher une manière de dire mes convictions sans blesser ». Une progression qui n’aurait peut-être pas été possible si « nous n’avions pas eu déjà mis en place une hygiène de vie spirituelle », constate son époux. Membres des Équipes Notre-Dame, ils avaient déjà les bons réflexes, et c’est dans la prière qu’ils ont puisé la force d’assumer leur rôle familial.
Il est important que les grands-parents soient soutenus. Les propositions existent dans quelques diocèses. À chaque fois, les intéressés peuvent mettre en commun leur expérience et leurs questions. Les mouvements de couples (Équipes Notre-Dame, Domus Christiani) sont aussi utiles, à condition que ne s’y pratique pas localement une ségrégation des générations.
Quant aux conseils pratiques… La prière était la principale et ultime recommandation du père Bonnet : « Elle est la seule façon de pouvoir construire une famille unie dans l’épreuve comme dans la joie ». Pour Geneviève, c’est une évidence : « Il ne se passe pas de jour sans que le matin, après les laudes, j’apporte mes enfants et mes petits-enfants au Seigneur. Je Lui demande de les bénir, de les garder à l’ombre de ses ailes, d’être présent dans leur vie, et que leur vie ne se passe pas sans Lui ».
Frédérique de Watrigant
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